Olivier Père

Mulholland Drive de David Lynch

Dans le cadre de son « Summer of Dreams », ARTE rediffuse Mulholland Drive (Mulholland Dr., 2001)  de David Lynch dimanche 19 juillet à 21h.

Comme la route du même nom, Mulholland Drive est un film au tracé sinueux. David Lynch transporte le spectateur sur une voie excitante et dangereuse dont lui seul connaît les déviations. Mulholland Drive fut d’abord le pilote malchanceux d’une série télévisée avortée qui s’est peu à peu transformé en long métrage de cinéma. Cette genèse inhabituelle explique en partie pourquoi le film contient autant d’ouvertures, de béances et de points de départ. David Lynch est le cinéaste de l’inquiétante étrangeté. La ville de Los Angeles est la principale source d’inspiration de ce cauchemar éveillé, jeu de l’oie où se croisent et se désirent starlettes, femmes fatales, célébrités de Hollywood et gangsters. Lynch expérimente des univers sonores et visuels, des labyrinthes sensuels et terrifiants où il fait bon se perdre. Le film et ses énigmes invitent naturellement à de nombreuses visions, inaptes à épuiser son pouvoir de sidération. L’effet de stupéfaction et d’envoûtement ne s’émousse pas même lorsqu’on croit connaître le film. Mulholland Drive a néanmoins réussi, sans l’aide de son créateur, à accueillir plusieurs grilles de lecture convaincantes. Il ne se résume pas à une succession de références cinématographiques – En quatrième vitesse, Vertigo, Persona, Le Mépris – ni à une relecture arty du film noir « hard boiled » des années 50, ni à une confrontation entre le glamour de l’âge d’or hollywoodien et le cinéma contemporain. Mulholland Drive est aussi et surtout une tragique histoire d’amour, de jalousie, de meurtre et de culpabilité, la rencontre passionnelle et toxique de deux femmes qui vont se détruire, destins consumés dans la cité des anges. Lynch brise la chronologie de son récit et entrelace rêve et réalité. L’un des premiers plans en caméra subjective suggère une présence humaine qui se couche sur un lit aux draps pourpres et s’enfonce dans un profond sommeil. Ce qui suivra sera un long et angoissant rêve, interrompu par un « time to wake up » qui introduit un épilogue désespéré, lui-même constitué de multiples retours en arrière. Lynch n’est pas seulement un cinéaste plasticien, c’est aussi un extraordinaire directeur d’actrices. Au cœur de cet édifice brillant il révèle aussi la magnifique Naomi Watts dans un double rôle d’une complexité et d’une profondeur exceptionnelles. Mulholland Drive est souvent cité comme l’un des chefs-d’œuvre cinématographiques du XXIème siècle. On valide.

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Un commentaire

  1. Adrien L dit :

    Une influence moins connue mais évidente est celle de Maya Deren, figure marquante du cinéma expérimental américain (voir « Meshes of Afternoon »). On trouve aussi chez Lynch certaines structures narratives de Resnais (les raccords spatiaux temporels étranges de « L’année dernière à Marienbad » ou « Hiroshima mon amour »). Sinon dans ce film, il donne beaucoup d’indices. Un oreiller, une scène de réveil : pas de doute, la première partie est un rêve, la seconde le réel. Constantes chez Lynch : le rêve est un réarrangement du réel qui permet à un personnage de fuir une situation insupportable , mais l’émotion négative du réel se rappelle au personnage. Selon cette logique le rêve reprend les ingrédients du réel : un tueur à gage, un réalisateur, une jeune fille rêvant de devenir une star, un témoin gênant. Dans la réalité, la fille a échoué, le réalisateur l’a dédaignée, la star ce n’est pas elle mais une autre, elle a payé un tueur à gages pour la liquider, un témoin a surpris le deal. Dans le rêve, la fille a tout pour être une star, le tueur est un personnage maladroit de film burlesque, le réalisateur un loser, le témoin gênant succombe de façon fort opportune à une crise cardiaque. les émotions négatives se rappellent au personnage dans le rêve via un mauvais café (on sait depuis Twin Peaks que c’est toujours un mauvais présage), des esprits monstrueux tirant les ficelles dans l’ombre des studios, une figure de clocharde annonçant l’échec de la quête de célébrité. Et si des mots suffisaient à raconter cette histoire, on n’en ferait pas un film. Il ne reste donc qu’à se taire, suivant ainsi ce « Silencio » final repris de la fin du « Mépris » de Godard.

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