Olivier Père

Liens d’amour et de sang de Lucio Fulci

 

Si Lucio Fulci (1927-1996) tourna beaucoup (quarante ans de production, cinquante-six films pour le cinéma et la télévision), au gré des modes du cinéma populaire italien, élève de Visconti et Antonioni, débutant comme assistant et scénariste de Steno (Stefano Vanzina) pour Un Americano a Roma, travaillant avec Totò, réalisant de nombreuses comédies pour le tandem Franco et Ciccio ou Adriano Celentano, il trouva dans la violence et l’horreur ses marques de cinéaste, au point de développer une approche de plus en plus personnelle du fantastique. Ses caractéristiques sont une atmosphère putride et onirique, des espaces déconnectés, des dimensions parallèles et des récits aléatoires, permettant ainsi le rapprochement vers Poe, Lovecraft mais aussi Artaud. Ses plus fameuses réussites se situent dans deux genres distincts, appartenant à deux périodes de la filmographie du cinéaste : le thriller morbide et le fantastique gore. Ses premiers films « cruels » sont le western Le Temps du massacre (… Tempo di massacro, 1966) avec Franco Nero, puis le drame historique Liens d’amour et de sang (Beatrice Cenci, 1969), véritable film maudit qui nous est proposé dans un superbe combo Blu-ray et DVD par l’éditeur Artus. Liens d’amour et de sang est l’adaptation méconnue d’une affaire criminelle du 17ème siècle qui offrit à Stendhal l’argument de l’une de ses chroniques italiennes, enflamma l’imagination de plusieurs dramaturges à différentes époques (Shelley, Artaud, Moravia…) et fut portée à diverses reprises à l’écran, dès le cinéma muet. La version cinématographique la plus célèbre demeure Le Château des amants maudits de Riccardo Freda, dont Bertrand Tavernier envisagea un temps d’entreprendre le remake, pour finalement réaliser un film au sujet proche, La Passion Béatrice. Liens d’amour et de sang, assez anachronique, survient en pleine vague du western italien et du giallo érotique ; il en adopte les tics visuels, alliés à un style expressionniste dégradé. Le cinéaste assouvit ses pulsions sadiques en insistant sur les scènes de torture. La violence extrême du film ne doit pourtant pas le réduire à un simple produit d’exploitation. La vie tragique de Béatrice Cenci, fille d’un aristocrate romain pervers et décadent qui terrorise sa famille et son entourage, inspire à Fulci un mélodrame sombre qui refuse le moindre lyrisme, et opte au contraire pour un récit morcelé et fragmenté. Fulci inverse la chronologie – la condamnation de Béatrice et de ses complices survient avant la révélation de leur crime – et insère des flash-backs à l’intérieur d’autres flash-backs. Cette histoire cruelle mêlant inceste et parricide offre l’occasion au cinéaste, qui deviendra quelques années plus tard le spécialiste du « gore » transalpin, de réaliser son chef-d’œuvre. Cette ambition formelle et la modernité de la mise en scène de Fulci ne seront pas saluées au moment de la sortie du film en Italie. Le cinéaste, victime de sa mauvaise réputation auprès de la critique, essuiera l’un de ses plus gros échecs. Liens d’amour et de sang connut une distribution française confidentielle et différée, amputé de scènes importantes. Cette édition blu-ray providentielle permet d’apprécier ce film à sa juste valeur, et de lui accorder enfin l’attention qu’il mérite, dans le riche panorama du cinéma italien des années 60-70.

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