Olivier Père

Les Lèvres rouges de Harry Kümel

Malavida ressort en salles mercredi 11 mars Les Lèvres rouges de Harry Kümel en version restaurée. Il s’agit du film le plus connu de ce cinéaste belge également responsable d’une adaptation de Jean Ray avec Sylvie Vartan et Orson Welles, Malpertuis. En 1971, Kümel transpose avec Les Lèvres rouges la légende de la comtesse Báthory dans la Flandre contemporaine et signe une œuvre d’une beauté envoûtante dont l’esthétisme glacé emprunte à la peinture symboliste belge et permet à Delphine Seyrig d’interpréter avec beaucoup d’humour et d’élégance une extraordinaire vampire lesbienne. Les jeunes mariés Stefan et Valérie rentrent en Angleterre en wagon-lit. Leur train se trouvant bloqué, ils descendent dans un grand hôtel désert à Ostende. Le soir venu, une énigmatique comtesse (Seyrig) et sa suivante, Ilona (la très sensuelle Andrea Rau), entrent dans l’établissement. Le réceptionniste reconnaît la femme, déjà venue il y a quarante ans. Cette dernière n’a pas pris une ride. Les lèvres rouges est une œuvre fascinante qui baigne dans une atmosphère décadente et renvoie à de nombreuses référence picturales (essentiellement les peintres symbolistes belges du XIXème siècle : Fernand Knopf et Léon Spilaert.) Les Lèvres rouges appartient aussi bien à la mouvance du cinéma érotico fantastique que du film d’art. Kümel est un auteur inclassable, grand admirateur de Sternberg. Les Lèvres rouges est un précurseur du film bis arty avant que cela devienne la mode. On pense à Spermula de Charles Matton, aux Prédateurs de Tony Scott ou à The Neon Demon de Nicolas Winding Refn. Le film de Kümel a acquis une réputation flatteuse, bien que underground, dans les pays anglo-saxons et auprès des amateurs de cinéma fantastique. Les Lèvres rouges bénéficie bien sûr du charme vénéneux de Delphine Seyrig, qui campe une créature féminine échappée d’un film de Resnais ou de Duras et égarée dans un film de Jean Rollin. Les dialogues sont signés Jean Ferry, célèbre pour sa collaboration avec Clouzot (Quai des Orfèvres) et d’autres artisans de la « qualité française. » familiers d’une vision noire ou désabusée du monde. Il faut mettre au crédit de la réussite du film la très belle musique de François de Roubaix, toujours inspiré pour composer des mélopées entêtantes et tristes. Allergique à la modernité cinématographique et à la Nouvelle Vague, le petit maître flamand Kümel se réfugie dans un univers compassé et fétichiste, cet hôtel mausolée hanté par la mort et les fantômes du cinéma des années 30 et 40, faisant entrer les pages les plus sombres de l’histoire de l’Europe – le spectre du nazisme – par la petite porte du film de vampire érotique.

Catégories : Actualités

3 commentaires

  1. nicolas Bardin dit :

    A quand la diffusion de Malpertuis dans sa version remontée par Kümel himself ?

  2. derouet dit :

    C’est une œuvre plastique autant que filmique, située quelque part entre l’onirisme spectral des tableaux de Delvaux et le surréalisme architectural de De Chirico. Le tout accompagné par les expérimentations musicales et sonores de l’excellent François de Roubaix.
    Le film s’inspire du personnage mythique d’Erzsébet Báthory du roman Carmilla de Sheridan Le Fanu, comtesse hongroise du XVIe siècle qui vécu dans le château de Čachtice dans les Carpates en Moravie. Un jeune couple, immobilisés à Ostende, séjournent dans un vaste hôtel désert en cette morte-saison. Le couple fait alors la connaissance de l’inquiétante comtesse Bathory et de sa protégée Ilona, ténébreuses créatures de la nuit. Insidieusement, elles vont les envoûter. Les Lèvres rouges réinvente le mythe la comtesse Bathory sous les traits d’une Delphine Seyrig ( l’Année dernière à Marienbad) incandescente, ensorcelante et manipulatrice. Loin des clichés du genre, Harry Kümel façonne son œuvre sous les influences picturales (Fernand Khnopff, Paul Delvaux, Giorgio de Chirico) et de références cinématographiques où se déploient un réalisme fantastique imprégné de saphisme et d’érotisme troublant. Une atmosphère lourde, morbide et mystérieuse. Le choix de la ville belge d’Ostende est important, car à cette époque de l’année, elle est vidée de ses touristes et ressemble à une ville morte où il pleut abondamment (référence à Bruges la Morte l’un des grands chefs œuvre du symbolisme littéraire par Georges Rodenbach).

    Le réalisateur place aussi par petites touches une ambiance d’avant-guerre. La comtesse Bathory avec son allure et ses tenues très années 30, inspirée du glamour de ces années 30, avec des lèvres rouge vif, des ondulations blondes décolorées et des sourcils épilés. Ilona et sa coiffure à la Louise Brooke, mais aussi ce grand l’hôtel vide abritant les protagonistes. Seyrig est censée incarner Bathory, ayant survécu depuis des siècles et n’ayant jamais vieilli.
    Concernant l’excellent choix, Delphine Seyrig, à part son immense talent, sans oublier son humour, elle formait le cœur de l’entreprise du chic et du trash. Effet garanti, touchant une large audience, mariant le cinéma qu’on appelle d’art et d’essai à son soi-disant contraire, dit grand public(…) Le bon cinéma, celui qui raconte primordialement, pour des images bien conçues, dit toujours plus que ce qu’il semble montrer, ce n’est pas la caverne de Platon, c’est le miroir de Cocteau, sinon ou resteraient les von Stenberg, les Murnau, les Kurosawa … Harry Kümel. Il méprisait dans l’ensemble tout ce que fabriquait la nouvelle vague et je suis bien d’accord avec lui ! 
    Pertinente utilisation de l’Idée de l’hôtel, lieu du fantasme, de l’inconscient et de la pulsion, Les Lèvres rouges créé un univers qui n’est pas un théâtre de l’extraordinaire, mais d’une réalité qui suit un cours différent. L’Hôtel des Thermes d’Ostende aux charmes surannés et ses environs rappellent le décor des fantasmagoriques de Giorgio de Chirico dans de nombreux plans. Le film est parcouru par la couleur rouge, des fondus au rouge qui remplissent l’écran à de simples gouttes de sang en passant par les habits personnages. Kümel est un coloriste par l’utilisation des couleurs primaires sa passion pour l’opposition et le contraste le personnage masculin en blanc, son épouse en noir et la comtesse en rouge déjà dans Malpertuis son adaptation de Jean Ray est rougeoyant, c’est le bleu foncé ici, la couleur de la nuit aspirant les différents protagonistes. Kümel sait parfaitement composer ses plans et cadrer ses personnages, les figeant comme dans un tableau. Un gros travail est aussi fait quant au choix de certaines couleurs. Chaque scène est dominée par des couleurs vives et riches, à l’image du travail saisissant de Dario Argento (Suspiria).

    Le réalisateur place aussi par petites touches une ambiance d’avant-guerre, a choisi de s’inspirer de Marlene Dietrich, célèbre pour Shanghai Express. La performance de Seyrig avec son timbre de voix particulier dans le rôle de la comtesse Bathory est hypnotique et remarquable. Elle est manipulatrice et intelligente, séduit les autres clients de l’hôtel. À bien des égards, elle ressemble à un prototype de Miriam/Catherine Deneuve dans Les prédateurs, par ailleurs l’intrigue est similaire avec Deneuve en princesse égyptienne vampire dans le rôle de l’être immortel et Susan Sarandon dans celui de sa proie vulnérable.
    Le film, par sa lenteur, est en plus bien captivé par l’atmosphère de la magnifique et envoûtante musique de François de Roubaix (Le Samouraï) La bande sonore atmosphérique accentue la tension et ajoute au sentiment général de malaise. De ce film, on pense aussi à Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg ou les héros sont piégés, eux aussi, dans une ville morte. À l’époque était sortie Cérémonie Sanglante de Jorge Grau métaphore politique et le sketch des Contes Immoraux à l’érotisme littéraire du Polonais Walerian Borowcyk.

    Sources :
    La Comtesse Sanglante, concernant Erzsébet Báthory, une étude aussi littéraire que fantasmatique de l’artiste et poétesse surréaliste Valentine Penrose.
    Entretien d’Harry Kümel de 2012 du livret du DVD. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *