Olivier Père

Le Samouraï de Jean-Pierre Melville

Jean-Pierre Melville définissait Le Samouraï (1967) comme « une longue méditation sur la solitude. » et aussi comme « le portrait d’un schizophrène paranoïaque. » Ce film étrange et beau est rediffusé lundi 9 mars à 20h55 sur ARTE.

Dès le premier plan du générique – une silhouette d’homme étendue sur un lit, dans une chambre miteuse minutieusement reconstituée en studio et donc plus abstraite que réaliste, le cadre rigide se met soudainement à vaciller en légers zooms et tremblement de caméra à l’apparition des premières notes de la musique sublime de François de Roubaix, pour immédiatement retrouver son immobilité tombale. Que s’est-il passé ? Crise de nerfs de Melville devant la beauté d’Alain Delon, mort en sursis déjà sur son linceul dès la première image ? On ne le saura jamais. Le film regorge ainsi de détails déstabilisants et de trouvailles géniales et invisibles qui transportent le spectateur exactement là où Melville veut l’emmener. Superbe plan où la caméra adopte soudain le point de vue du miroir dans lequel Delon ange narcissique ajuste parfaitement son chapeau ; raccord improbable où Delon impassible dégaine plus vite que son ombre pour exécuter son contrat, un propriétaire de boîte de nuit ; évidemment, le plan iconique de la mort de Jeff Costello (car s’est ainsi que s’appelle Delon dans le film), qui abattu par la police se fige en statue de marbre, les bras étrangement en croix sur le torse, gants blancs sur manteau sombre, avec un mince filet de sang à la commissure de la lèvre gauche qui le fait ressembler à un vampire, créature de la nuit suppliciée sous les yeux de sa proie, une belle chanteuse métisse.

 

Le Samouraï en 1967 est une étape décisive vers l’abstraction glacée qui caractérise la dernière partie de la filmographie de Jean-Pierre Melville. La rencontre entre Jean-Pierre Melville et Alain Delon, tueur à gages à la tristesse minérale, donne naissance à une œuvre désincarnée, une épure de film noir. Le minimalisme de l’action s’accompagne d’une stylisation extrême des costumes (l’imperméable et le chapeau de Delon) et surtout des décors (des rêves de commissariat et de night-club). Les deux titres suivants avec Delon, Le Cercle rouge et Un flic (ultime film de Melville, ultime poème à la gloire de l’acteur) poursuivront cette approche fantasmatique du cinéma et des stars masculines. Car ces trois films sont aussi un écrin amoureux pour l’icône Delon, silhouette frigide et opaque obsédée par la mort.

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