Olivier Père

Julieta de Pedro Almodóvar

Dans le cadre de sa programmation spéciale Festival de Cannes, ARTE diffuse mercredi 15 mai à 20h55 Julieta (2016) de Pedro Almodóvar, l’un des plus beaux films de son auteur, et de ces dernières années, en attendant de découvrir Douleur et Gloire. Adaptation libre de trois nouvelles de Alice Munro, Julieta appartient à la veine sombre du cinéaste, qui lui a inspiré ses meilleurs films. Almodóvar s’éloigne du mélodrame pour signer une véritable tragédie des temps modernes, autour de thèmes qui lui sont chers.

Julieta est un film sur la perte de l’être aimé, l’absence, le deuil et le sentiment de culpabilité au travers d’une douloureuse relation entre une mère et sa fille, déchirée par une rupture aussi violente qu’absolue et indéchiffrable.

Autant de thèmes que Almodóvar a déjà abordé par le passé – et en particulier dans Volver – mais il le fait ici sur le mode de l’épure et de l’abstraction, sans pour autant renoncer aux arabesques formelles et narratives, aux recherches chromatiques et à la virtuosité du récit qui sont la marque de son cinéma. Julieta est peut-être le premier film de Almodóvar qui ne contient pas la moindre trace d’humour et de fantaisie. Loin du bruit et de la fureur de certains de ses films précédents, où les passions joyeuses ou funèbres éclataient avec violence, Julieta est un film murmuré, sangloté, sans éclats de voix, toujours dans la rétention. Ce retrait volontaire d’éléments majeurs de son cinéma confirme que le cinéaste a voulu donner une approche tragique à son histoire. C’est souligné dès le début du premier retour en arrière où la jeune Julieta, professeure de littérature, lit un essai sur la tragédie grecque dans un train. Le film avance par répétitions et dédoublements, expose ses protagonistes à un éternel retour du malheur, sans pour autant les condamner ni les juger. La scène finale, imprévisible et bouleversante, conteste le poids de la fatalité et offre une chance de nouveau départ à la mère et à la fille.

Le décor artificiel du wagon, l’utilisation de transparences délibérément visibles, la stylisation des couleurs renvoient à une référence importante dans Julieta : le cinéma d’Alfred Hitchcock. L’apparition de la gouvernante austère et jalouse interprétée par Rossy de Palma est un citation directe du personnage de Mrs Danvers dans Rebecca. La création même du personnage de Julieta, interprété par Adriana Ugarte et Emma Suárez, deux actrices différentes et assez dissemblables, évoque le motif démiurgique de Vertigo. Comme Hitchcock, Almodóvar se révèle capable, par la puissance expressive de ses cadres et ses mouvements de caméra, d’exprimer la complexité des sentiments de ses personnages. Les couleurs jouent aussi un rôle important dans la dramaturgie du film, avec un emploi saisissant du rouge, dans des à-plats monochromes qui envahissent l’écran ou des détails signifiants. Au-delà de ses références picturales et de son goût pour l’art contemporain, Almodóvar s’impose comme un grand cinéaste plasticien, à la croisée des avant-gardes et du Hollywood des années 50.

 

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