Olivier Père

Exodus de Otto Preminger

Grâce à Sidonis/Calysta, on peut revoir Exodus (1960), le chef-d’œuvre d’Otto Preminger dans une édition combo Blu-ray et DVD d’excellente qualité. En 1947, à Chypre, des milliers de réfugiés juifs, en chemin pour la Terre Sainte, sont arrêtés par les Anglais et parqués dans des camps. Ari Ben Canaann (Paul Newman), un résistant, s’indigne de ces arrestations et prend la tête d’un périple qui les mènera jusqu’aux frontières de la Palestine. A bord d’un vieux bateau, l’Exodus, le héros et ses passagers affrontent tous les dangers dans un seul but : la liberté.

Exodus est la première grande fresque chorale d’Otto Preminger, dans laquelle la multiplicité des personnages, des opinions et des points de vue est censée restituer la réalité étudiée dans sa globalité et sa complexité – ici la naissance de l’Etat d’Israël. Exodus est une adaptation du roman éponyme de Leon Uris (inspiré d’événements réels) par le scénariste Dalton Trumbo. C’est avec ce film que Trumbo sort officiellement de la liste noire, puisque son nom apparaît au générique, alors qu’il était contraint de travailler sous pseudonyme depuis qu’il avait été condamné en 1947 à onze mois de prison pour « activités anti-américaines », puis réduit au chômage et à la clandestinité tant que dura la terrible chasse aux communistes à Hollywood. La même année, quelques mois plus tard, Kirk Douglas accepte également de mentionner le nom de Trumbo au générique du film qu’il produit et interprète, Spartacus de Stanley Kubrick. La décision courageuse de Preminger correspond à ses idées libérales et à sa haine de la censure, politique ou religieuse, qu’il combattit tout au long de sa carrière, l’utilisant parfois à des fins promotionnelles au moment de la sortie de ses films (par exemple La lune était bleue.)

Exodus apparaît comme l’apogée du classicisme et repose sur un art de l’équilibre et un génie de la composition plastique aussi bien que de la narration qui englobe destins individuels et histoire, violence et rétention, intelligence froide et émotion, scepticisme hautain et humanisme. Mais surtout, l’art de Preminger est un art de l’invisibilité, ce qui a certainement freiné sa reconnaissance comme auteur. Preminger est sans doute le cinéaste à avoir poussé à son plus haut degré de perfection les recherches sur le montage interdit, en créant des films non pas uniquement composés de plans-séquences, comme La Corde d’Hitchcock, mais donnant cette illusion de continuité par un travail sur la fluidité et l’harmonie à l’intérieur des plans et des séquences. Preminger est le cinéaste classique par excellence, car son art méprise l’expérimentation voyante et met la maîtrise de l’écriture cinématographique au profit de l’évidence, du réalisme et de la dramaturgie. Exodus est peut-être plus beau et le plus représentatif des chefs-d’œuvre de Preminger des années 60. Durant cette décennie, Preminger laisse éclater ses ambitions de cinéaste et producteur indépendants mais aussi son goût des grands sujets audacieux susceptibles de créer la controverse – ici le sionisme. La mise en scène de Preminger s’écoule dans Exodus comme un long fleuve majestueux, épousant le thème du film sur l’amplitude de l’histoire qui draine les conflits et les destins personnels. Le film contient plusieurs morceaux de bravoure, et les plus mémorables ne sont pas forcément les plus spectaculaires, bien à au contraire. Pour une seule scène, Exodus mérite sa place au panthéon des grands films de l’histoire du cinéma : celle où le jeune Dov Landau (Sal Mineo), interrogé par un chef de l’Irgoun, finit par avouer l’inavouable : enrôlé de force dans les sonderkommandos à Auschwitz, il fut contraint de participer au processus de la solution finale contre son peuple et de servir de prostituée pour les soldats allemands. Un long plan fixe dans la pénombre, avec une tache de lumière qui éclaire le visage de Sal Mineo perdu dans l’écran large, la seule puissance de la parole pour évoquer l’horreur : une leçon de mise en scène qui vient rappeler que l’esthétique et la morale ne peuvent se dissocier, que ce soit dans un documentaire ou une superproduction hollywoodienne.

 

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