Olivier Père

Un hold-up extraordinaire de Ronald Neame

Il existe au moins deux excellentes raisons de voir Un hold-up extraordinaire (Gambit, 1966) : elles se nomment Shirley MacLaine et Michael Caine. Il est difficile de ne pas prendre beaucoup de plaisir devant la réunion de deux acteurs qui furent l’incarnation d’une certaine idée du cool, de l’excentricité et du charme dans les années 60, et qui s’amusent à composer ici des personnages de romans pulp : la danseuse d’un cabaret exotique et le cambrioleur. MacLaine et M. Caine, au-delà de la proximité phonétique de leurs patronymes, possèdent une certaine gémellité dans l’univers du cinéma des années 60, entre persistance de modèles hollywoodiens sur le déclin et apparition d’une nouvelle génération d’auteurs et d’acteurs en phase avec leur époque. Dans Gambit, les deux vedettes adoptent un jeu très postmoderne. Il s’agit pour MacLaine et Caine de jouer des joueurs, des caractères en perpétuelle représentation, qui ne se montrent que derrière les paravents, d’attitudes, de mensonges et de dissimulation. Ils portent un masque pendant tout le film, celui du manipulateur cynique et de la marionnette soumise, jusqu’à ce que la naissance de sentiments amoureux vienne perturber une mécanique humaine imparable. Mais Gambit réserve d’autres surprises, et son scénario offre aux deux stars une palette de jeu beaucoup plus variée que prévue. Le principe du film de Ronald Neame consiste d’abord à proposer deux caractères absolument impassibles associés à un projet de hold-up génial, puis de confronter la réalité aux plans du voleur interprété par Michael Caine, élaborés non pas sur des faits mais sur des émotions supposées et une étrange ressemblance entre la femme d’un milliardaire et une danseuse de cabaret.

Gambit est produit à une période où les studios hollywoodiens, soucieux de minorer leur caractère obsolète, accueillent l’influence du cinéma européen – influence indirecte ou directe lorsqu’il s’agit d’inviter des talents venus du vieux continent à travailler pour eux – et saupoudrent leurs films d’une approche ironique, d’une forme light de distanciation. Afficher les mécanismes du cinéma de divertissement, en souligner les artifices participe à la nouvelle tendance des films de genre des années 60, destinés à un public qui n’a plus envie d’être dupé par des vieilles recettes, et qui apprécie que les films policier, westerns et autres thrillers proposent leur autocritique en même temps qu’une offre spectaculaire. Tel est le programme de Gambit, qui participe à cette tendance. La minutieuse préparation d’un casse, son exécution et sa conclusion souvent malheureuse ont servi de trame a de nombreux films. Ce type de films connait un regain de popularité dans les années 50 et 60 avec deux succès signés Jules Dassin, Du rififi chez les hommes (1955) et Topkapi (1964). Les deux titres vont engendrer un nombre important d’imitations. Avec Gambit, Ronald Neame et ses scénaristes profitent de la mode lancée par Topkapi mais parviennent à faire œuvre originale. L’objectif qui consiste à déjouer les attentes est dépassé. Neame bouleverse les conventions et situant le morceau de bravoure de son film dans les vingt premières minutes. Gambit joue sur la confusion entre imagination, illusion – il est constamment question de sosie, de l’œuvre originale et de la copie – et réalité. Tout le début du film se révèle en effet une projection mentale du coup parfait tel que l’a conçu un voleur professionnel, tandis que la réussite du vol repose sur la substitution d’une œuvre d’art par une reproduction. Neame file la métaphore entre l’exécution d’un casse et la réalisation d’un film. Le personnage interprété par Michael Caine se rêve en cinéaste démiurge capable d’anticiper les mouvements et les sentiments d’êtres humains envisagés comme des pions sur un échiquier, pour parvenir à ses fins. Au-delà de l’excellent divertissement qu’il constitue, et du véhicule destiné à mettre en valeur les talents de ses deux vedettes, Gambit propose une mise en abîme sur la mise en scène cinématographique et l’éloge du faux. Sophistiqué sans être prétentieux, et moins superficiel qu’il n’y paraît, le film de Ronald Neame mérite d’être redécouvert.

 

Nous profitons de l’édition en combo blu-ray et DVD de Un hold-up extraordinaire chez Elephant pour signaler la parution de la traduction française du nouveau livre de mémoires de Michael Caine, Et que les barrières sautent ! (Éditions Baker Street) dans lequel l’acteur anglais revient sur sa carrière et adresse des conseils aux aspirants comédiens. Inspiré par une master class faite pour la BBC sur le métier d’acteur, ce livre est avant tout une leçon de vie, rempli de souvenirs amusants et conforme à l’humour, la modestie et la persévérance de Michael Caine, l’homme aux 175 rôles.

 

 

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