Olivier Père

Le Bateau-phare de Jerzy Skolimowski

Unique film véritablement américain de Jerzy Skolimowski, cinéaste habitué aux productions apatrides, Le Bateau-phare (The Lightship, 1985) entretient une relation ambiguë avec sa terre d’accueil. C’est un film qui reste métaphoriquement loin du système hollywoodien comme de son territoire, puisque l’essentiel de l’action se déroule en mer, aux larges des côtes de Norfolk, Virginie. Sur le plan technique, l’éloignement est encore plus grand. L’intégralité du film, pour des raisons de production, a été tournée en Allemagne.  Skolimowski s’acquitte de la commande (un film noir hustonien, presque un remake de Key Largo, 1948) tout en signant un film très personnel. Un de ses premiers scénarios, Le Couteau dans l’eau de Roman Polanski (1963), était déjà un huis-clos maritime. Et selon la règle des tournages confinés, l’histoire du film a contaminé sa fabrication, marquée par des affrontements entre Klaus Maria Brandauer et Jerzy Skolimowski, à l’image des rivalités d’ego entre l’impossible capitaine Miller et son ennemi à l’écran, le gangster Calvin Caspary (Robert Duvall). Duvall et Skolimowski auraient décidé au dernier moment d’intervertir les rôles initialement prévus pour les deux vedettes, déclenchant l’ire de l’acteur autrichien, habitué à jouer les méchants. Brandauer sort vainqueur du duel, exceptionnellement sobre en face de Duvall surpris en flagrant délit de cabotinage. De même, la ressemblance physique entre Skolimowski et Brandauer n’est pas fortuite, puisque ce dernier joue le père de Michael Lyndon, fils du cinéaste. Les relations père-fils se retrouvent au cœur du film, avec le portrait d’un adolescent rebelle en conflit avec l’autorité paternelle. Le Bateau-phare rejoint ainsi Le Succès à tout prix (1984), l’un des films les plus intimes de Skolimowski, également interprété – et co-écrit – par son fils. En adoptant un classicisme de façade et sans trop se soucier des conventions du genre, le cinéaste a préservé l’énergie et la tension de ses plus grandes réussites : les contingences de la réalité ont toujours nourri son art.

Le Bateau-phare était devenu quasiment invisible depuis sa sortie en France en février 1986. Il ne faut dont pas rater l’occasion de le revoir enfin, ou de le découvrir, sur grand écran.

 

Le Bateau-phare a été restauré en 4K par L’Atelier d’images et Malavida avec Titra Film. Ressortie en salles par Malavida le mercredi 10 avril 2019.

 

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *