Olivier Père

Signes particuliers : néant de Jerzy Skolimowski

Il s’agit du premier long métrage de Jerzy Skolimowski, dont on peut voir actuellement la leçon de cinéma sur ARTE.tv, organisée à l’occasion de la rétrospective qui lui a été consacrée à la Cinémathèque française. Jerzy Skolimowski, né en 1938, fut une figure marquante du nouveau cinéma polonais des années 60 aux côtés de Roman Polanski avant de devenir un cinéaste insaisissable, à la carrière déroutante. Signes particuliers de Skolimowski : à la fois poète et boxeur, acteur et réalisateur, franc-tireur et farouchement individualiste, comme en témoignent ses premiers films et ceux qui suivront, tournés un peu partout dans le monde. Signes particuliers : néant (Rysopis, 1964) est en fait le film de fin d’études du jeune Skolimowski, étudiant à la fameuse école de Lodz. La genèse et la fabrication de Signes particuliers : néant sont singulières. L’apprenti réalisateur a assemblé tous ses courts métrages d’étudiant pour qu’ils constituent un long métrage entier, avec sans doute un projet central qui les unissait déjà : dessiner le portrait d’un jeune homme – lui-même – coincé dans la société polonaise étouffante de l’époque. Cette idée explique la structure du film, éclatée en plusieurs moments de la vie d’Andrzej, dont le sursis pour effectuer son service militaire est sur le point d’expier. Le film prend alors la forme d’un compte à rebours, et s’intéresse aux rencontres ou au micro-incidents qui vont émailler les quelques heures de liberté d’Andrzej avant son départ pour deux ans dans la marine. Dès ses débuts, Skolimowski adopte un style fragmenté et elliptique qui reviendra souvent dans son œuvre. Le cinéaste aime s’attacher aux détails quotidiens cocasses, aux rencontres insignifiantes et aux hésitations de son antihéros. Signes particuliers : néant peut se voir comme un brouillon de Walkover et du Départ, deux titres majeurs qui traitent des grands sujets du cinéaste : la fin de l’innocence, la fuite en avant et le gâchis d’une incapacité à se fixer ou à savoir ce que l’on cherche vraiment. Contrairement à d’autres cinéastes de sa génération, Skolimowski n’a jamais versé dans un cinéma cérébral, théorique, et a toujours opté pour une approche physique, presque sportive, de son art. Cela ne l’empêche pas d’exprimer un malaise profond et une angoisse existentielle que l’action et le mouvement ne peuvent dissiper. La dernière scène Signes particuliers : néant est à ce titre révélatrice de toute la filmographie à venir de Skolimowski. Andrzej court comme si sa vie en dépendait pour rattraper un autobus et grimper sur la plateforme, puis descend en marche du véhicule quelques mètres plus loin, sans motif apparent. Le succès et l’abandon, le goût de l’exploit et la conscience de sa vacuité, voilà les paradoxes et les contradiction qui animent l’œuvre de Jerzy Skolimowski.

En salles depuis le 20 mars, en version restaurée, distribué par Malavida.

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