Les Forbans de la nuit (Night and the City), produit par la Twentieth Century Fox en 1950, témoigne de l’esthétisme et des thématiques prônées durant cette période par son directeur Darryl Zanuck. La nuit, une ville, tout le programme du film est inscrit dans son titre original. Pourtant Les Forbans de la nuit n’est pas un film noir comme les autres, car cette ville s’appelle Londres. Son cinéaste, Jules Dassin, fut en effet contraint de tourner son film loin des Etats-Unis, sans pouvoir en assurer lui-même la préparation. Dassin est dénoncé par Edward Dmytryk auprès de la Commission des Activités anti-américaines à la fin des années 40, lors du maccarthysme. Dassin doit fuir Hollywood, et c’est la raison pour laquelle l’action du court roman de Gerald Kersh est transposé dans la capitale anglaise. Le film dresse le portrait fascinant d’un « loser » intégral, incapable de sortir d’une vertigineuse spirale de l’échec, et qui va entraîner plusieurs personnes dans sa chute. Dassin offre à Richard Widmark son meilleur rôle. L’acteur se révèle d’une intensité extraordinaire, à la fois pathétique et grandiose dans la bassesse. Aussi vague que puisse apparaître la notion de « film noir », il est souvent possible d’aborder le genre sous un angle précis : le réalisme. Dans le film qui nous intéresse, ce réalisme est teinté de baroque et d’onirisme, à l’instar de la performance de Widmark, proche de l’expressionnisme. Les paysages urbains réels que traverse l’anti-héros de cette sombre histoire, sans cesse aux abois et poursuivis par des créanciers, ne sont pas traités avec une approche documentaire et finissent au contraire par ressembler à des décors de studios. Les Forbans de la nuit propose une étrange immersion de vedettes américaines (Widmark, Gene Tierney dont le personnage semble un peu sacrifié) parmi des acteurs anglais (Herbert Lom) et des « gueules » marquées par la vie. Dassin accorde une faible importance à l’intrigue sentimentale pour mieux plonger dans les bas-fonds de Londres et le milieu de la lutte gréco-romaine. Les Forbans de la nuit doit autant à la politique d’un studio qu’à la personnalité de l’excellent cinéaste qu’était Jules Dassin au début de sa carrière. Les Forbans de la nuit, vient clore, avec beaucoup de pessimisme, une série de polars urbains à tendance sociale, sur fond de corruption morale, de soumission et de déchéance. Premier film de Dassin tourné en Europe, première étape de son long exil loin de Hollywood, Les Forbans de la nuit sera suivi cinq ans plus tard par une nouvelle – et hélas dernière – réussite exceptionnelle, Du rififi chez les hommes tourné en France. Un autre film noir où la nuit joue un rôle central, où la mort est la seule issue possible.
Les Forbans de la nuit est proposé à la vente dans un coffret collector Blu-ray + 2 DVD + un livre de 220 pages (de Philippe Garnier) à partir du 27 mars, édité par Wild Side. Garnier revient pour la première fois sur la genèse compliquée de l’adaptation du roman et sur la production du film. Le coffret inclut le montage alternatif britannique, plus long de six minutes, qui fut exploité sans le consentement de Dassin.
ah, ce film!
Auprès du grand public, Hollywood, les grands studios, le cinéma classique, c’est surtout – exclusivement- le grand spectacle, l’évasion, le technicolor, le Western avec des bons et des méchants, le happy end, des enfants tout mignons, des gens propres et des actrices sublimes.
Mais pas du tout messieurs dames, regardez ce film par exemples : oui, Gene Tierney est sublime, mais que de fièvre, que de désespoir, que de coups du sort implacables, le truand est aussi un fils qui aime son père, Widmark est un loser magnifique qui sait le sens de la loyauté, sait qu’il se trompe, qu’il se perd, mais pour mieux se redresser plus tard, se justifier, sans y réussir, bien sûr! C’est une superbe observation de la nature humaine.