Olivier Père

La Baie sanglante de Mario Bava

La Baie sanglante (Ecologia del delitto, 1971) demeure l’un des films les plus importants, et novateurs de Mario Bava. Le cinéaste radicalise son propos et tourne le dos au fantastique gothique pour ouvrir la voie de l’horreur moderne.

Une histoire cruelle et des personnages cupides, une succession de meurtres sanglants servent de prétexte à une étude quasi entomologique des pulsions humaines. Nous sommes en 1971 et Bava se distingue de ses confrères du cinéma populaire italien, en train d’essorer le filon du « giallo » et du film de machination. Nous sommes loin des productions de Luciano Martino et même des titres fondateurs de Dario Argento. Bava recule les limites de la représentation de la violence et met en scène treize meurtres qui se caractérisent par leur cruauté et leur imagination sadique. Cette accumulation – et la complaisance dans les détails « gore » – a permis d’affirmer que La Baie sanglante était un film précurseur de la mode du « slasher » qui allait envahir le cinéma d’horreur anglo-saxon avec des films comme La Nuit des masques, Vendredi 13, leurs suites officielles et leurs imitations. Malgré les apparences, Bava ne se contente pas d’appliquer à son film un programme purement mécanique, où la mort serait délivrée avec méthode et froideur, par une entité masquée et anonyme. La véritable rupture de La Baie sanglante réside dans l’absence de personnage positif auquel le spectateur pourrait s’identifier, ou tout simplement ressentir de l’empathie. Nous assistons médusés à une série de meurtres sans jamais trembler pour les victimes, présentées comme des pantins écervelés (le groupe de hippies) ou des individus ignobles (les habitants de la baie et leurs adversaires). C’est cette impossibilité à ressentir la moindre émotion devant l’élimination systématique de tous les protagonistes du film qui provoque un sentiment d’écœurement, et exprime la profonde misanthropie de Bava. Il serait néanmoins inexact de prétendre que Bava renonce au scénario traditionnel qu’il remplace par une succession froide et arbitraire de mises à mort. La Baie sanglante demeure une histoire de machination où des hommes et de femmes s’entretuent pour la possession d’une baie, laissée à l’abandon par ses propriétaires mais véritable mine d’or pour les promoteurs immobiliers. Plusieurs retours en arrière viennent éclairer les motivations et le modus operandi des assassinats dans le dernier quart du film, à la construction assez virtuose. La complexité des plans machiavéliques des différents auteurs des meurtres est tournée en dérision par Bava qui réduit à néant les efforts malhonnêtes de ses personnages, égaux devant la mort. La pirouette finale conclut par l’absurde une ronde macabre qui ne peut s’arrêter qu’avec la suppression physique des derniers survivants. Le cynisme de Bava se double d’un dégoût pour l’humanité qui le conduit à célébrer la nature sauvage et les animaux, pas encore souillés par la civilisation. Habitué à diriger des acteurs en bois, Bava s’entoure ici de comédiens talentueux (Luigi Pistilli, Leopoldo Trieste, Laura Betti…) qui participent par leurs jeux de masques à la réussite du film. La BO lancinante du génial Stelvio Cipriani apporte un contrepoint tantôt angoissant, tantôt dérisoire au jeu de massacre de Mario Bava.

La Baie sanglante est disponible en combo DVD plus Blu-ray plus livret de 16 pages, accompagné aussi d’intéressants suppléments critiques, édité par ESC. Dans la même collection on pourra redécouvrir deux autres titres majeurs de Mario Bava, Le Corps et le Fouet et Une hache pour la lune de miel.

 

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