Olivier Père

Chantage de Alfred Hitchcock

Afin de compléter son cycle Alfred Hitchcock qui s’achève à l’antenne le 3 janvier, ARTE propose de voir ou revoir gratuitement sur son site cinq longs métrages des débuts de la carrière anglaise du réalisateur, à cheval entre le muet et le parlant : Le Ring (1927), The Manxman (1929), Chantage (1929), Meurtre (1930) et A l’est de Shanghai (1931). Des films admirables qui démontrent la maîtrise précoce d’Alfred Hitchcock et son art du récit cinématographique, dans les registres du drame ou du suspens, mais aussi la présence dès la fin des années 20 de thèmes et de préoccupations que le cinéaste de cessera de développer tout au long de son œuvre. Commençons par Chantage (Blackmail, 1929) qui compte parmi les chefs-d’œuvre d’Hitchcock, toutes périodes confondues. Le film n’est pas seulement le premier film parlant du cinéaste, mais de tout le cinéma britannique, quelques mois à peine après la sortie du Chanteur de jazz. Chantage est initialement tourné comme un film muet. Certains passages du film (toutes les premières séquences) demeureront sans son. Ce n’est qu’une fois le tournage terminé que Hitchcock obtiendra les moyens techniques, enfin disponibles en Grande-Bretagne, de sonoriser son film. Prévoyant, Hitchcock avait anticipé lors des prises de vues la possibilité de transformer Chantage en film parlant. Il lui faudra néanmoins retourner certaines scènes. Les expérimentations d’Hitchcock sur le son l’amèneront à inventer la postsynchronisation qui n’existait pas encore, afin de remplacer la voix de son actrice principale Anny Ondra, d’origine austro-hongroise et donc affligée d’un fort accent, par celle d’une comédienne anglaise. Comme d’autres films des débuts du parlant, Chantage sera exploité en salles dans ses deux versions, sonore et muette.

Chantage est une intrigue policière. La première incursion d’Hitchcock dans ce domaine, The Lodger (1927), avait été un grand succès. Chantage est l’histoire d’une tentative de viol au cours de laquelle une jeune femme tue son agresseur en état de légitime défense. Bouleversée, elle erre toute la nuit avant de rentrer chez ses parents. Son fiancé, un policier qui travaille à Scotland Yard, découvre sur les lieux du crime des preuve qui accablent sa bien-aimée, et les fait disparaître. Mais un individu louche, témoin oculaire du drame, a l’idée de faire chanter le couple. Hitchcock met en scène les mécanismes de la culpabilité dans un thriller où l’identité de l’assassin n’est pas le motif du suspens. Il s’agit au contraire de jouer sur les attentes du spectateur, en imaginant une situation sans issue pour la frêle héroïne, à la fois innocente et coupable, dans l’incapacité d’avouer la vérité. Dès ce film, Hitchcock associe le sexe, le désir et la mort, et organise la séquence de façon elliptique, en se contentant de montrer l’arme du crime et la main ballante de l’homme tué, dissimulé derrière un rideau. La manière dont Hitchcock filme un meurtre lors d’une lutte désespérée dans Chantage peut être considérée comme la matrice de très nombreuses scènes similaires qui seront tournées par la suite. Le visage ricanant et le doigt pointé d’un clown représenté sur un tableau sur le lieu du crime est un leitmotiv visuel qui symbolise le sentiment de culpabilité des protagonistes et le regard moralisateur de la société, à l’instar de la petite fille et du policier aux lunettes miroir de Psychose. Hitchcock s’émancipe à plusieurs reprises de la nature théâtrale de son matériau d’origine, notamment lors de la spectaculaire poursuite finale dans le British Museum, où il a recours à plusieurs effets spéciaux optiques particulièrement efficaces et invisibles, empruntés au Metropolis de Lang. Ces trucages lui permettent d’inscrire de minuscules silhouettes en fuite à l’intérieur des décors immenses.

Chantage débute par l’arrestation musclée d’un homme recherché par la police, sans aucun lien avec la suite du film. Cette introduction a pour utilité, assez anecdotique par rapport au film tel que nous le connaissons, de nous plonger dans la vie quotidienne des inspecteurs de Scotland Yard avant que ne débute l’intrigue. Elle devait trouver son véritable sens grâce à la fin du film initialement conçue par Hitchcock, refusée par les producteurs qui la jugeaient trop pessimiste : l’arrestation par la police de la jeune fille contrainte de répéter ses moindres gestes lors de la reconstitution du crime, en présence de son fiancé. Cette idée témoigne de la modernité du cinéma d’Hitchcock, en avance sur son temps dans sa manière d’appréhender les motifs de la répétition et de la boucle au sein d’un récit cinématographique. Il parviendra à exprimer cette idée de recommencement morbide bien plus tard, notamment dans Vertigo.

Ces cinq films d’Alfred Hitchcock sont disponibles sur le site d’ARTE jusqu’à la fin des mois de février ou mars selon les titres. Chantage est en ligne jusqu’au 28 février.

Catégories : Sur ARTE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *