Olivier Père

Une place au soleil de George Stevens

ARTE diffuse lundi 23 avril à 20h50 un chef-d’œuvre absolu du cinéma américain  : Une place au soleil (A Place in the Sun, 1951) de George Stevens.

Nouvelle adaptation du roman de Theodor Dreiser publié en 1925 A American Tragedy après celle de Josef von Sternberg en 1931, tandis que Eisenstein avait lui aussi tenté de porter le livre à l’écran mais s’était fâché avec la Paramount. Stevens et son scénariste Michael Wilson (sur la liste noire du maccarthysme son nom n’apparaît pas au générique) modernisent le récit qui se déroule à l’époque du tournage, dans l’Amérique. Un jeune homme pauvre obtient de son oncle fortuné un emploi dans son usine. Là, il rencontre une ouvrière avec laquelle il entretient une relation secrète. Mais il fait aussi la connaissance d’une très belle jeune fille de la haute société dont il tombe éperdument amoureux. Une place au soleil peut être considéré comme le sommet paradoxal du « glamour » hollywoodien : le couple formé par Montgomery Clift et Elizabeth Taylor (magnifique dans son premier grand rôle) est en effet insurpassable de beauté, de sensualité et d’intensité fiévreuse, tandis que l’histoire du film est la plus cruelle imaginable. Tandis que les Etats-Unis de l’après-guerre s’ouvrent à la prospérité économique pour tous, à la démocratisation de la réussite sociale, Stevens rappelle le poids du destin, de l’injustice et du déterminisme de classe qui viennent frapper de plein fouet son pathétique antihéros interprété par Clift. Pas étonnant qu’Eisenstein ait souhaité adapter un roman à la dimension politique évidente. Une place au soleil dévoile la face la plus sombre du rêve américain avec l’un des revers de fortune les plus implacables jamais montrés à l’écran.

Souvent accusé à tort d’académisme par la critique française, George Stevens est ici à l’apogée de son talent de cinéaste, avec une mise en scène somptueuse et surprenante qui multiplie les effets de profondeurs de champs, les longs plans-séquences, et surtout des fondus enchaînés, des scènes de baisers et des gros plans amoureux qui comptent parmi les plus beaux du cinéma américain, sublimés par la musique inoubliable de Franz Waxman.

George Stevens est un cinéaste remarquable qui débuta dans la comédie avant de réaliser quelques grands mélodrames. Ce tournant dans sa filmographie s’effectue à son retour de la Seconde Guerre mondiale. Engagé dans le service cinématographique des armées il filma en 16mm couleur la libération du camp de concentration de Dachau. Cette expérience le marqua profondément au point de l’inciter à ne pas montrer ces documents pendant plusieurs années et d’imprimer à ses projets hollywoodiens des années 50 une tonalité grave et sombre, avec la volonté d’aborder des sujets importants.

N’oublions pas la géniale Shelley Winters à contre emploi dont la performance allait marquer la carrière à tout jamais. Elle qui avait la réputation d’une actrice pulpeuse et sexy trouvera après Une place au soleil ses plus grands rôles en interprétant des femmes bafouées, humiliées et martyrisées, comme dans La Nuit du chasseur ou Lolita.

Une place au soleil

Montgomery Clift et Elizabeth Taylor dans Une place au soleil de George Stevens

Profitons de la diffusion de Une place au soleil pour saluer la parution de Montgomery Clift, l’enfer du décor de Sébastien Monod (Lettmotif éditions), essai extrêmement documenté consacré à l’acteur américain, mêlant analyses filmiques (la courte filmographie de Clift est étudiée dans les moindres détails) et travail biographique, prouvant la proximité douloureuse entre les personnages interprétés par Clift et sa propre personnalité, vie professionnelle et vie privée.

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