Olivier Père

Under the Skin de Jonathan Glazer

Under the Skin (2014) est diffusé mercredi 16 août sur ARTE, à 22h50. Le film sera disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

Depuis Birth nous tenons Jonathan Glazer (d’abord célèbre pour ses formidables courts métrages musicaux et publicitaires) pour l’un des cinéastes les plus passionnants sa génération. Passionnant, surdoué mais trop discret et guère productif, auteur de seulement trois films en treize ans, mais à l’ambition formelle croissante, Sexy Beast, le superbe Birth et enfin le génial Under the Skin. Il s’agit d’une interprétation très personnelle d’un roman de Michel Faber paru en 2000. Un(e) extra-terrestre prend l’apparence d’une jeune femme (Scarlett Johansson, brune) et traverse l’Ecosse en voiture, rencontrant plusieurs hommes sur sa route. Ces rencontres – sexuelles – sont filmées d’abord de manière réaliste puis comme des allégories, les victimes masculines nues disparaissant dans une mystérieuse matière noire, devant l’objet de leur désir au mutisme insondable. Jusqu’à ce que la prédatrice devienne à son tour proie. Jonathan Glazer est un créateur sans égal d’images, d’univers sonores et visuels d’une étrangeté et d’une beauté sidérantes. Under the Skin est un voyage hypnotique à travers les villes (sinistres, frappées par la crise) et les campagnes (bords de mer et forêts cauchemardesques), une expérience sensorielle qui retranscrit le regard d’un extraterrestre sur notre monde. Under the Skin n’est pas un film de science-fiction dans la mesure où le cinéaste ne prétend pas imaginer des univers futuristes ou lointains. Il invente au contraire une vision inédite, venue d’ailleurs, de notre planète, d’un centre commercial à une part de gâteau vus et sentis pour la première fois. Les plans de Glazer sont sublimes, la bande son extraordinaire parvient à transformer des paysages quotidiens en espaces fantastiques. Le film aurait pu se réduire à une succession d’images glacées davantage à leur place dans une galerie d’art contemporain que sur un écran de cinéma, mais il n’en est rien. Le voyage qu’il nous propose est autant mental qu’émotionnel. Glazer se rattache à une histoire de la modernité cinématographique, qui passe par Antonioni et Kubrick, ce dernier étant sans doute la grande référence de Glazer. Glazer explore des zones d’inconfort et de malaise qui ne sont pas seulement esthétisantes. Under the Skin est un grand film sur le thème de la rencontre et de l’altérité, pose un regard inédit sur la solitude, la monstruosité ordinaires au travers de portraits masculins saisissants, d’ambiances urbaines hyperréalistes captées par une caméra miniature inventée spécialement pour le film, permettant au cinéaste de filmer une superstar incognito parmi les passants, avec un résultat saisissant. Au point qu’une scène de chute dans la rue fut répercutée sur la toile comme un malencontreux accident de l’actrice américaine. Glazer ne se contente pas de savoir regarder Scarlett Johansson, magnifique dans un rôle aux antipodes de tout ce qu’elle a pu faire auparavant, il la réinvente avec la complicité de l’actrice. Quasiment muette, elle joue avec son regard et surtout son corps, enveloppe de peau renfermant un mystère organique et sexuel – venu des étoiles, mais qui rejoint aussi le continent noir du mystère féminin – qu’elle emportera avec elle. Nous sommes loin de la façon dont les starlettes galvaudent leur nudité sur la toile, Scarlett comprise, et pourtant Glazer explore, littéralement, l’intimité de son actrice comme personne avant lui. Under the Skin est un film voyage avec ses étapes, ses accidents et ses sorties de routes. C’est une odyssée de notre temps, chargée d’angoisse et de questions existentielles. C’est aussi un film triste et hantée par la violence du monde, un poème sur la féminité, une expérience cinématographique fascinante.

 

 

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