Dans le cadre de sa case Cinéma Trash ARTE diffuse Re-Animator (1985) de Stuart Gordon jeudi 16 juin à 23h40. Re-Animator fit l’effet d’une bombe lors de sa sortie au milieu des années 80. Au même moment que la trilogie Evil Dead de Sam Raimi Stuart Gordon inventait le film d’horreur humoristique, direction qui n’avait été que rarement empruntée dans le cinéma américain, et souvent sans beaucoup de talent depuis La Petite Boutique des horreurs de Roger Corman en 1960. Certains puristes s’indignèrent de ce début de dérive parodique qui allait gangréner le cinéma de genre dans les années 80, mais le film de Stuart Gordon se distingue par son jusqu’au boutisme et va très loin dans son cocktail de sang, d’érotisme déviant et d’humour noir, loin des productions hollywoodiennes aseptisées. Gordon réactive toute la violence et la folie subversive de la série B. Re-Animator est l’un des titres de gloire du studio indépendant Empire Pictures spécialisé dans l’horreur et la science-fiction, et qui reprit le flambeau des productions Roger Corman sous l’impulsion de Charles Band et Brian Yuzna. A côté de titres souvent médiocres et ridiculement fauchés l’arrivée en fanfare de Stuart Gordon avec son Re-Animator permit d’apprécier les qualités et l’intelligence de ce cinéaste, vrai amoureux du fantastique, provocateur et pourfendeur de tabous. Son adaptation d’une nouvelle de Lovecraft pourra paraître sacrilège tant elle méprise les notions d’indicible et d’irreprésentable attachées à l’écrivain de Providence. Gordon balaie ces clichés pour adopter un style qui doit beaucoup au Grand-Guignol. Tandis que Sam Raimi puise dans l’esthétique du « cartoon », Gordon n’esquive pas son expérience théâtrale lors de son passage au cinéma. Sa mise en scène privilégie les performances d’acteurs qui n’ont pas peur de l’outrance et les effets spéciaux sanguinolents renvoient aux grandes heures du théâtre du Grand-Guignol dont la postérité a traversé les océans. Sous les hectolitres de sang et les kilos de barbaque pointent la satire du puritanisme, la perversité et la corruption des élites. Si les débordements gore des films de zombies de Romero dispensaient un message politique, ceux de Re-Animator – et plus tard de From Beyond – explorent Eros et Thanatos, les surcharges libidinales, les relations de domination et de soumission, tant intimes, sexuelles que sociales.
Re-Animator s’impose comme l’un des films d’horreur les plus originaux et décapants de son époque. Une scène sexuelle, impensable dans un film de grand studio hollywoodien, ose une représentation inédite au cinéma de la nécrophilie, avec une inversion surprenante : c’est un cadavre qui tente de violer une jeune femme vivante ! Re-Animator permettra à la délicieuse « scream queen » Barbara Crampton, déjà dénudée un an auparavant dans un passage aussi bref que mémorable de Body Double de Brian De Palma, et qui donne beaucoup de sa personne devant la caméra de Stuart Gordon, d’entrer dans la légende du cinéma fantastique américain.
On notera la différence de registre, sur des thèmes similaires – la tentation de dompter la mort, le désir irrépressible de ressusciter l’être aimé – entre Simetierre, diffusé la semaine précédente, et Re-Animator. Aux lamentos tragiques de King et Lambert Stuart Gordon préfère la bouffonnerie et les blagues de carabin. Dans les deux cas, les âmes et les estomacs sensibles sont invités à passer leur chemin. Mais les cinéphiles un peu tordus et les amateurs d’émotions fortes devraient se régaler.
Re-Animator est aussi projeté ce soir à la Cinémathèque française – qui propose actuellement une rétrospective “Changements de têtes” à l’occasion d’un réjouissant double programme “Cinéma bis” avec le film de Stuart Gordon à 20h suivi à 22h de The Thing With Two Heads (1972) de Lee Frost, infâme mais hilarante mixture de médecine fiction et de blaxploitation dans laquelle un vieux chirurgien raciste voit sa tête greffée sur le corps d’un condamné à mort noir. On souffre pour Ray Milland humilié dans ce qui constitua le nadir de sa carrière mais on sourit devant des courses-poursuites, des effets spéciaux, des dialogues, des situations, des effets de style (presque tout, quoi) qui confirment la drôle d’idée que se fait Lee Frost d’un « pamphlet antiraciste » comme La Chaîne de Stanley Kramer, sans parler de sa conception de la mise en scène cinématographique.
J’ai vu ce film inédit en France au Film Forum à New York l’été 95 lors d’une chouette rétrospective Blaxploitation peu avare en curiosités de cet acabit. J’envie les cinéphiles qui le découvriront ce soir monstrueusement accouplé à la comédie gore de Stuart Gordon, par ailleurs grand fan du film de Lee Frost.
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