Olivier Père

The Thing de John Carpenter

The Thing (1982) de John Carpenter est ressorti le 27 janvier en salles, distribué par Splendor Films.

The Thing pousse la méthode du cinéaste à son point d’aboutissement esthétique et thématique. Bénéficiant qu’un gros budget (il s’agit d’un film de studio, Universal), Carpenter a pour la première fois recours à des effets spéciaux très sophistiqués pour l’époque (c’était bien avant les trucages digitaux et le « morphing ») qui permettent au film de marquer un jalon dans l’histoire du cinéma fantastique.

C’est le génial Rob Bottin qui se charge des transformations et autres mutations terrifiantes qui scandent ce remake d’un film de science-fiction de Christian Nyby produit (et un peu plus que cela) par Howard Hawks, le cinéaste de chevet de Carpenter. Aidé par les délires en latex de Bottin, qui s’apparentent parfois à des sculptures surréalistes et cauchemardesques où l’intégrité du corps humain – et animal – est violemment bafouée, Carpenter transcende le film original tout en restant fidèle à une certaine éthique hawksienne. Carpenter filme « à hauteur d’hommes » un sujet métaphysique et parvient l’exploit d’aller très loin dans les trucages gore et la violence explicite sans pour autant renoncer aux principes de la suggestion et de l’invisibilité chers au fantastique classique. Si elle explose littéralement à intervalles réguliers dans des manifestations sanguinolentes, l’entité maléfique qui s’empare de la station polaire américaine et du corps des membres de l’expédition est diffuse et impalpable, comme un virus. On ne verra jamais la forme originelle de l’extraterrestre prisonnier des glaces après l’atterrissage forcé de son vaisseau spatial. Film du déchainement baroque, The Thing prend pourtant comme point de départ un trou vide, ce carré de glace creusé dans la banquise d’où fut malencontreusement extrait l’alien. Cette béance plusieurs fois reproduite au début du film s’accompagne d’espaces désertiques et glacés, à la blancheur immaculée, bientôt promis aux flammes et à la souillure organique. Comme dans d’autres grands films d’horreur modernes (Les Dents de la mer, Alien) les scènes choc de The Thing possèdent de furieuses connotations sexuelles. La chose introduite dans le corps de ses victimes – toutes masculines – se transforme en vagin denté engouffrant sa nouvelle proie ou prend la forme d’une fleur monstrueuse.

Décrié à sa sortie à cause de ses excès démonstratifs et même exhibitionnistes (à l’instar de deux autres grands remakes des années 80, La Féline de Paul Schrader et Scarface de Brian De Palma), et de sa volonté morbide d’expliciter des forces maléfiques abstraites, le chef-d’œuvre de Carpenter s’avère précurseur de l’intérêt croissant de certains cinéastes des années 90 pour la paranoïa, l’organique, la métamorphose et l’abjection (Cronenberg, Lynch, le Ferrara de Body Snatchers) et rejoint même, dans son projet apocalyptique, le moins maîtrisé mais tout aussi monstrueux Possession de Zulawski, réalisé en Europe un an plus tôt.

 

 

 

 

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