Olivier Père

Pattes blanches de Jean Grémillon

Gaumont permet de revoir – ou de découvrir – en DVD ou en blu-ray grâce à la restauration numérique progressive de son catalogue le très beau Pattes Blanches (1949) de Jean Grémillon. Très beau et pourtant relativement peu commenté en comparaison d’autres classiques du cinéaste comme Gueule d’amour, Remorques ou Le ciel est à vous. Il faut dire que Pattes blanches fut un grave échec commercial et critique au moment de sa sortie et amorce la fin de carrière de Grémillon qui ne tournera plus que deux longs métrages L’Etrange Madame X et L’Amour d’une femme mal reçus eux aussi, et plusieurs courts avant de disparaître prématurément en 1959. Pattes blanches survient comme un providentiel film de commande pour Grémillon qui venait de traverser une période difficile de quatre ans après-guerre avec l’abandon successifs, faute de financements, de quatre projets personnels et ambitieux, ouvertement historiques et à portée révolutionnaire notamment sur la Commune et la Guerre d’Espagne. Pattes blanches devait être à l’origine le premier film mis en scène par le dramaturge Jean Anouilh, qui en a coécrit le scénario et les dialogues avec Jean-Bernard Luc. Anouilh devra finalement céder la place à un metteur en scène plus expérimenté à la demande des producteurs mais il saluera le travail de Grémillon, qui transpose l’action de Pattes blanches en Bretagne, région aimée et déjà filmée à plusieurs reprises par le cinéaste de Gardiens de phare.

Dans un village breton du bord de mer Jock le Guen (Fernand Ledoux) un riche commerçant revient de la ville avec sa maîtresse Odette (Suzy Delair) qu’il installe chez lui et compte bien épouser. La jeune femme a du mal à brider ses élans sensuels et s’offre au châtelain du village, Julien de Keriadec (Paul Bernard) surnommé Pattes blanches à cause de ses guêtres et qui vit reclus dans le domaine familial à l’abandon, puis à l’asocial Maurice (Michel Bouquet), bâtard illuminé qui rumine son ressentiment envers les habitants du village, en particulier Jock et Julien qui n’est autre que son demi-frère. Malgré sa noirceur et sa galerie de personnages pittoresques Pattes blanches échappe aux conventions d’un certain cinéma français caractérisé par son pessimisme et sa misanthropie. Loin d’être un représentant d’un réalisme poétique tardif Grémillon s’inscrit dans un véritable cinéma de la cruauté, porté par une inspiration lyrique, tellurique et même baroque. Le style de Grémillon, puissant et précis, atteint son paroxysme dans des séquences déchaînées où des motifs visuels très forts participent à une dramaturgie violente. Utilisation magistrale des paysages naturels et des décors comme le château des Keriadec. Les protagonistes de ce drame où la passion, la frustration et la vengeance se mêlent à la haine de classes sont tous fous, frappés de pathologies ou esclaves de leurs sens, interprétés avec beaucoup de fièvre et d’intensité par des acteurs remarquablement dirigés : l’étrange Paul Bernard, un jeune Michel Bouquet maigre comme un clou, Arlette Thomas en domestique bossue, amoureuse tragique, Fernand Ledoux (photo en tête de texte) excellent comme d’habitude et Suzy Delair dans l’un de ses meilleurs rôles. Pattes blanches est l’un des chefs-d’œuvre maudits de Grémillon, génial cinéaste qui n’occupe pas encore tout à fait la place qu’il mérite dans l’histoire du cinéma français.

 

 

 

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