Olivier Père

M le maudit et Espions sur la Tamise de Fritz Lang

ARTE propose une soirée en hommage à Fritz Lang mercredi 2 décembre avec deux films.

Diffusé à 20h55 M le maudit (M, 1931) est le premier long métrage sonore de Lang. Diffusé à 22h40 Espions sur la Tamise (Ministry of Fear, 1944) réalisé à Hollywood est l’un des quatre films antinazis de Lang, d’après un roman de Graham Greene.

Lorsqu’il met en scène M le maudit Lang est le cinéaste vedette du cinéma allemand. Après s’être intéressé aux mythes et légendes germaniques et avoir mis en scène sa grandiose vision d’un monde futur le génial démiurge opte pour un sujet en apparence plus réaliste, mais qui témoigne une nouvelle fois de sa fascination pour le thème du destin et des pathologies criminelles. M le maudit est l’histoire d’un tueur en série, assassin de petites filles, mais c’est aussi le portrait d’une société en crise, à la recherche d’un bouc émissaire, pour se purger de sa propre violence. La rigueur implacable de la réalisation de Lang, véritable architecte de la mise en scène, est enrichie par le son, technique alors balbutiante dont le cinéaste fait un usage d’une inventivité et d’une maîtrise absolues – les fameux sifflements du tueur pour ne citer qu’un exemple. Lang ne se contente pas d’enregistrer des dialogues, il instaure une atmosphère sonore aussi forte que les images. Lang organise la montée dramatique de son film avec la traque du tueur, mise en place parallèlement par les forces de l’ordre et la pègre, gênée dans ses activités par les investigations de la police. Il souligne l’efficacité supérieure du crime organisé, qui mettra la main sur le psychopathe avant les hommes du commissaire Lohmann (truculent policier berlinois qui reprendra du service deux ans plus tard dans Le Testament du docteur Mabuse, toujours interprété par Otto Wernicke) et lui intentera un procès, dans une parodie de justice qui souligne la comparaison de Lang entre la pègre et les voyous nazis sur le chemin de la prise de pouvoir. M le maudit est indissociable de Peter Lorre (photo en tête de texte) en monstre pathétique, à la fois bourreau et victime, qui délivre l’une des performances les plus puissantes de l’histoire du cinéma.

M le maudit est disponible en télévision de rattrapage sur ARTE+7.

Si M le maudit figure depuis sa création au panthéon des chefs-d’œuvre de l’art cinématographique, Espions sur la Tamise jouit d’une réputation beaucoup plus modeste. Il s’agit pourtant d’une belle réussite de la période américaine de Lang, démonstration de la rémanence du génie du cinéaste qui ne bénéficia pas de la même liberté ni des mêmes moyens qu’en Allemagne dans le système des studios hollywoodiens mais parvint néanmoins à maintenir à un très haut niveau ses exigences de mise en scène et son point de vue sur l’histoire. Lang était le premier à désavouer cette production Paramount justement parce que le scénario lui avait totalement échappé, et qu’il méprisait l’adaptation faite du roman de Graham Greene (écrivain qu’il admirait), dont il avait voulu acheter les droits avant que le studio n’emporte la mise. Pourtant, Lang impose sa signature à chaque plan de Espions sur la Tamise, véritable film piège à l’instar de M le maudit. L’infortuné héros (interprété par Ray Milland) de ce récit d’espionnage en forme de rêve éveillé croise dès sa sortie d’un hôpital psychiatrique des agents nazis infiltrés dans la campagne londonienne, en pleine kermesse de charité. On y retrouve les thématiques de la conspiration et des sociétés secrètes chères à Lang, et aussi son obsession pour les personnages de médium. Une séance de spiritisme dans laquelle les participants d’une soirée privée forment un cercle renvoie aux grandes heures de l’expressionnisme et au diptyque muet consacré au docteur Mabuse, figure omnipotente du Mal. M le maudit et Espions sur la Tamise partagent aussi l’apparition inoubliable d’un aveugle, même si la cécité dans le second film n’est qu’un subterfuge. Sans doute mineur dans la filmographie de Lang, Espions sur la Tamise n’en demeure pas moins une leçon de mise en scène, et une œuvre parfaitement cohérente dans la carrière de l’auteur des Nibelungen. Si Fritz Lang n’a rien perdu de sa rigueur et de sa lucidité à Hollywood, il s’est parfois autorisé – comme dans Espions sur la Tamise – à se montrer plus sentimental que dans ses grands films allemands, tempérant la noirceur de son regard et son pessimisme ontologique par des moments poétiques de tendresse et d’espoir.

 

 

 

 

 

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