Olivier Père

Qui l’a vue mourir ? de Aldo Lado

The Ecstasy of Films édite en DVD « l’un des plus grands thrillers du cinéma italien des années 70 » : c’est le dos de la jaquette qui le clame et on vous certifie que c’est vrai pour l’avoir vu plusieurs fois, tous supports confondus – y compris une belle copie 35mm à la Cinémathèque française. Chi l’ha vista morire ? (traduction littérale : Qui l’a vue mourir ?) compte en effet parmi les réussites incontestables du « giallo », et demeurait un secret bien gardé puisque le film n’avait jamais été distribué ni en salles ni en vidéo en France. C’est enfin chose faite grâce à l’éditeur indépendant The Ecstasy of Films poursuit un excellent travail dans le domaine du cinéma bis.

Le réalisateur de Qui l’a vue mourir ?, Aldo Lado, est né à Fiume en 1934. Il occupe toute sorte de fonctions dans le cinéma, d’assistant (notamment sur Le Conformiste de Bernardo Bertolucci) à réalisateur de seconde équipe en passant par scénariste avant de réaliser ses deux premiers longs métrages en 1971 et 1972 pour le même producteur, Enzo Dania. La corta notte delle bambole di vetro (Je suis vivant) et Chi l’ha vista morire ? appartiennent au genre du « giallo », soit ces thrillers d’angoisse et de sadisme dont les cinéastes italiens se firent une spécialité dans les années 70, avec plus ou moins de sophistication et d’intelligence. Ces deux titres figurent incontestablement dans le haut du panier d’une production foisonnante et souvent racoleuse, aux côtés de certains titres de Dario Argento et Lucio Fulci sans oublier le must absolu Frissons d’horreur (Macchie solari) de Armando Crispino. Il est même permis de dire que Lado a donné le meilleur de lui-même dans ses coups d’essai qui ont Prague et Venise comme principales héroïnes, la suite de sa carrière se révélant bancale et déconcertante. Prague et Venise, villes tentaculaires et inquiétantes, somptueusement filmées, entraînent les protagonistes des films de Lado dans de vertigineuse intrigues criminelles, jusqu’au cœur d’horribles complots et de révélations atroces. Qui l’a vue mourir ? est un incroyable thriller morbide situé dans la Cité des Doges, à l’exception de son mémorable prologue, quatre ans avant le déroulement du récit : le meurtre d’une fillette par une silhouette féminine noire et voilée sur les pentes neigeuses des abords d’une piste de ski à Megève. Le générique se déroule sur les photos macabres du dossier de l’enquête, et l’affaire sera classée sans que l’énigme de ce crime gratuit soit résolue. Le film peut commencer.

Qui l'a vue mourir ? de Aldo Lado

Qui l’a vue mourir ? de Aldo Lado

Franco Serpieri un sculpteur résidant à Venise séparé de son épouse hollandaise accueille sa fille Roberta d’une dizaine d’années venue passer les vacances avec son père. L’homme fréquente un petit groupe d’amis intellectuels et artistes. Le père et la fille savourent leurs retrouvailles. Tandis que Franco s’absente quelques heures pour retrouver sa maîtresse, la petite Roberta qui jouait seule dans la rue est enlevée et assassinée. Son corps est retrouvé le lendemain flottant dans un canal de la ville. Rejoint par la mère de la petite, Franco va mener sa propre enquête pour retrouver le tueur, et lever le voile sur un réseau secret de corruption et de perversion.

Avec l’aide de la musique une nouvelle fois géniale de Ennio Morricone – une comptine entêtante chantée par une chorale d’enfants – Lado parvient à sublimer ce drame hanté, qui devient un requiem déchirant sur les thèmes du deuil, de l’innocence sacrifiée et de la culpabilité.

L’atmosphère pesante et la douleur des parents ravagés par la mort de leur enfant parviennent à rendre l’intrigue policière et la résolution finale particulièrement tordues – une sombre histoire de drogue, de folie et de pédophilie, avec en toile de fond une aristocratie et un clergé vénitiens en pleine déréliction – presque secondaires. Moins roublard que ses collègues Dallamano et Lenzi, moins prestidigitateur que Argento, le débutant Lado signe avec Qui l’a vue mourir ? un film profondément dérangeant qui anticipe par son sujet, son esthétisme décadent et certaines de ses images le célèbre Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg tourné l’année suivante à Venise.

Il faut saluer la qualité de ce DVD qui propose dans un boitier imitant les couvertures jaunes des romans policier italiens (les fameux « gialli ») un livret avec un essai sur le film et sa bande originale, et des entretiens vidéo avec Aldo Lado, Francesco Barilli (coscénariste de Qui l’a vue mourir ?, connu pour avoir réalisé un autre giallo remarquable Le Parfum de la dame en noir avec Mimsy Farmer) et Nicoletta Elmi, la gamine rousse qui interprète Roberta et qui participa enfant à plusieurs films d’horreur italiens (Les Frissons de l’angoisse, Emilie l’enfant des ténèbres) au point de devenir une icône du cinéma bis transalpin.

DVD en vente avec le dernier numéro de Mad Movies en kiosques et sur le site www.the-ecstasy-of-films.com

George Lazenby et Nicoletta Elmi dans Qui l'a vue mourir ? de Aldo Lado

George Lazenby et Nicoletta Elmi dans Qui l’a vue mourir ? de Aldo Lado

 

 

 

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