Actuellement sur les écrans, deux films signés par deux grands réalisateurs, deux des derniers à questionner non seulement le monde mais ses moyens de représentation, au travers d’une recherche formelle qui apparente leurs derniers longs métrages à des essais cinématographiques davantage qu’à de « simples » documentaires. Alain Cavalier et Alexandre Sokourov, puisque c’est d’eux dont il s’agit, pratiquent un cinéma très différent l’un de l’autre mais appartiennent pourtant tous les deux à la catégorie des essayistes, aux côtés de Chris Marker, Jean-Luc Godard, Agnès Varda et quelques autres. Cavalier a renoncé depuis longtemps au cinéma traditionnel pour s’acheminer vers un cinéma solitaire à la première personne, débarrassé de la moindre lourdeur technique, souvent de la moindre équipe de tournage, pour se retrouver seul face à son sujet, dans une relation intime avec ce qu’il filme et aussi ses spectateurs. Dans Le Caravage Cavalier franchit une nouvelle étape dans cette esthétique de l’épure en retranchant un élément important de ses films récents, sa propre voix qui intervenait sur et avec les images, à la manière d’un journal filmé et parlé – ou plutôt chuchoté. Dans Le Caravage le sujet du film – la relation entre l’artiste équestre Bartabas et son cheval préféré (prénommé d’après le peintre italien) lors de séances d’entraînement, interdit la parole. C’est un film d’observation silencieuse, d’admiration pour un animal superbe filmé comme une divinité païenne entouré des soins de vestales. Le cinéma de Cavalier rejoint la sculpture dans sa façon de saisir des parcelles du corps du cheval, impressionnant de force et de beauté, ses mouvements, son souffle, sous l’œil un tantinet jaloux du ténébreux Bartabas. Avec ce film à part dans sa filmographie Cavalier poursuit néanmoins une recherche entreprise avec Le Paradis sur des bribes de sacré dans notre monde profane, le rapport au divin et à la mythologie que Cavalier retrouve dans des petits détails de notre quotidienne, et de manière plus consistante dans la nature et les animaux, sauvages ou domestiqués. Le Caravage part également à la recherche d’une forme oubliée de relation entre l’homme et le cheval, animal qui fit longtemps partie intégrante du paysage rural mais aussi urbain, avant de progressivement disparaître. Cet essai poétique parle d’une rencontre – titre d’un film précédent de Cavalier – mais aussi d’un lien perdu, archaïque, avant la civilisation moderne, qui pouvait unir l’homme et le cheval, entre vénération et travail. Film d’amour.

Le Caravage de Alain Cavalier
L’essai cinématographique entend énoncer des idées ou des réflexions par l’image et le son (Cavalier), ou par un assemblage audiovisuel beaucoup plus hétérogène, comme c’est le cas dans Francofonia, le Louvre sous l’Occupation (photo en tête de texte), nouvel opus du cinéaste russe Alexandre Sokourov. Ce n’est pas la première fois que Sokourov consacre un film à un musée, ni qu’il s’interroge sur la place de l’art et de la culture dans l’histoire, comme éléments constitutifs d’un peuple ou d’une nation. Il le fait ici de manière inédite dans son cinéma, loin des œuvres monumentales et élégiaques qui firent sa réputation, en adoptant une forme hybride, véritable patchwork qui accueille aussi bien la reconstitution historique que le documentaire, les images d’archives que les effets spéciaux numériques, la figure allégorique de Marianne, Napoléon et les visiteurs d’aujourd’hui, passant du passé au présent, de Skype aux compositions sophistiquées du directeur de la photographie Bruno Delbonnel, qui avait déjà travaillé avec Sokourov sur Faust. Différentes textures et natures d’images, comme un carnet de notes et de croquis, avec la voix de Sokourov qui résonne comme une litanie, pour évoquer l’importance de la préservation du patrimoine artistique, de l’Europe, mais aussi la relation entre deux hommes de bonne volonté dans des camps adverses mais qui vont pourtant sauver les trésors du Louvre et quelques-unes des œuvres spoliées aux Juifs par les Nazis, Jacques Jaujard (directeur des Musées Nationaux durant la Seconde Guerre mondiale) et le comte Franz Wolff-Metternich (responsable de 1940 à 1942 du « Kunstschutz ») respectivement interprétés par Louis-Do de Lencquesaing et Benjamin Utzerath. Le propos de Sokourov dans Francofonia, le Louvre sous l’Occupation trouve un écho direct dans notre époque, où l’art et la culture sont encore la cible de la barbarie.
Le Caravage de Alain Cavalier et Francofonia, le Louvre sous l’Occupation de Alexandre Sokourov sont deux coproductions ARTE France Cinéma / ARTE France – Unité Société et Culture.
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