Olivier Père

Tomboy : rencontre avec Céline Sciamma

ARTE rediffuse mercredi 18 novembre à 20h55 Tomboy de Céline Sciamma, découvert en 2011 au Festival de Berlin où il avait fait l’ouverture de la section « Panorama. »

Laure (formidable Zoé Héran) a 10 ans. C’est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa (Jeanne Disson) et sa bande qu’elle est un garçon. Son physique androgyne lui permet cette imposture et elle devient Michael pour jouer avec les gamins du quartier et se rapprocher de Lisa qui tombe amoureuse de lui/elle. Jeanne (Malonn Lévala) la petite sœur de Laure est sa seule complice, partageant son troublant secret.

Nous avions rencontré Céline Sciamma pour discuter de Tomboy en 2014, alors qu’elle était en train de monter Bande de filles, nouveau film au féminin sur l’adolescence, produit comme Tomboy par Hold Up Films en coproduction avec ARTE France Cinéma.

Naissance des pieuvres, ton premier film, avait été remarqué par la critique et le public. Ton second film Tomboy a été tourné très vite et avec moins d’argent, pourquoi ce choix ?

La légèreté du projet était une volonté de départ, elle n’est pas du tout liée à un déficit de financement. J’avais envie de prendre à contrepied le folklore du second film qui s’embourgeoise. Après Naissance des pieuvres j’avais le sentiment que j’avais gagné le droit de rejouer, ce qui est déjà pas mal, mais cela m’intéressait d’expérimenter d’autres choses du point de vue de la mise en scène et d’être encore plus libre que sur mon premier film. J’ai eu l’idée de ce dispositif parce que j’ai eu l’idée de ce sujet. Je me suis dis que c’était l’énergie de l’enfance, un tournage très rapide et très inscrit dans le présent. La stratégie consistait à inventer un nouveau jeu avec de nouvelles contraintes. Je voulais tourner rapidement en vingt jours, avec cinquante séquences et deux décors. Et puis je voyais beaucoup de morosité autour de moi à cause de la crise, avec des gens qui traînaient des projets depuis trop longtemps. Je me suis dit que cette période de crise était aussi une opportunité pour inventer de nouvelles formes d’écriture et de production.

On a parlé à juste titre de « suspense » au sujet de Tomboy qui repose sur un postulat dramatique très fort : à quel moment l’imposture de Laure va-t-elle être découverte ? Mais le film épouse aussi la forme du conte de fées, ne serait-ce que part l’importance du décor de la forêt où les enfants se retrouvent loin du monde des adultes. On pourrait dire que Michael et Lisa sont un chevalier et une princesse, que les matches de foot et les bagarres remplacent les tournois et les duels…

J’avais envie d’une sorte d’intemporalité qui pouvait être celle du conte, et aussi que cette enfance puisse être celle de tout le monde, sans véritable marqueur du temps. Une enfance générique avec un récit initiatique dans une forêt. Je voulais aussi prendre le contrepoint de Naissance des pieuvres qui était plus urbain, plus anxiogène, plus froid. Au contraire avec Tomboy j’avais envie d’un film d’été, avec la présence de la nature.

Le film raconte l’histoire de deux couples d’enfants qui s’aiment beaucoup, Laure sous sa nouvelle identité et sa copine Lisa, mais aussi Laure et sa petite sœur Jeanne.

J’ai pensé à Laure et à Jeanne comme un duo de comédie, construit en opposition un peu comme Laurel et Hardy, le maigre et le gros. C’était réjouissant pour le film, mais c’était aussi une façon d’en tracer le sujet. Je suis émerveillée par le fait que des enfants qui ont les mêmes parents ne se ressemblent pas du tout. Cela participait à la réflexion sur le libre arbitre des enfants, leur autonomie, leur capacité à s’inventer, sans aucun déterminisme lié à l’éducation familiale.

Je voulais raconter cette diversité mais aussi une sororité. Je me rends compte que mes films sont toujours construits autour de deux pôles, l’amitié et l’amour, avec généralement l’amitié qui l’emporte.

A quel point la conception de Tomboy s’est-elle nourrie des « gender studies », ces études universitaires apparues dans les années 70 et 80 sur la question de la différenciation sexuelle entre hommes et femmes, sur le plan anthropologique, psychanalytique, philosophique, politique…?

C’est une culture que j’ai, sans être une spécialiste, mais j’ai beaucoup lu sur ce sujet qui me passionne. J’ai voulu convoquer l’expérience sensible, quasiment impressionniste, qui est le pendant pratique de cette théorie. L’air du temps voudrait nous faire croire qu’on pourrait appliquer une théorie au monde, avec des slogans du style « ne touchez pas à nos stéréotypes de genres. » C’est l’inverse. Tomboy montre la variété, et l’unicité de chaque enfant.

Il y a une dimension politique et engagée dans le film, à l’endroit où le cinéma le permet. Ce n’est pas un tract. Je travaille excessivement sur l’identification, et chaque film est une machine à changer d’identité. C’est doublement vrai avec Tomboy qui raconte l’histoire de quelqu’un qui change d’identité, cela créé un effet de miroir. L’identification devient très politique. Traverser des identités différentes c’est la possibilité de s’affirmer au monde et à soi même. Pour le personnage et pour le spectateur. Je ne cherche pas à faire de démonstration mais l’exploration d’un personnage en embarquant le spectateur dans un monde enfantin, donc en le privant de certains de ses repères. Les parents sont des figures du récit mais ce n’est pas à eux que le spectateur va s’identifier. On est avec cette enfant tout le temps. La mise en scène aussi est à hauteur d’enfant, c’est une expérience sensible et physique.

Sans trop dévoiler de ton prochain film Bande de filles on peut dire qu’il y sera de nouveau question d’une autre forme de travestissement, avec l’idée que l’apparence physique et vestimentaire joue un rôle important dans la construction de soi chez une adolescente. L’accoutrement est un moyen de séduire, c’est aussi une façon de se protéger, d’être plus forte, comme une armure.

Le déguisement offre l’opportunité d’être une autre, et c’est extrêmement cinématographique. C’est la dynamique du super héros. Même le titre du film, Tomboy (« garçon manqué » en anglais, ndr), évoquait l’image d’un « Superman » enfantin. D’ailleurs Laure porte une cape au début du film, c’était voulu.

 

Propos recueillis à Paris le 15 janvier 2014 avec Barbara Levendangeur d’ARTE Magazine. Remerciements à Céline Sciamma.

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