Olivier Père

Went the Day Well? de Alberto Cavalcanti

Studiocanal édite prochainement en blu-ray un classique du cinéma anglais, produit par les studios Ealing, qui est aussi l’un des plus étonnants films de guerre jamais tournés, et un des meilleurs avec Ceux qui servent en mer de David Lean et Noel Coward, sorti la même année : Went the Day Well? (1942) de Alberto Cavalcanti.

Dans le magnifique épisode 3(a) de ses Histoire(s) du cinéma, « La monnaie de l’absolu » Jean-Luc Godard déclare au sujet de la Seconde Guerre mondiale « Les Russes ont fait des films de martyre. Les Américains ont fait des films de publicité. Les Anglais ont fait ce qu’ils font toujours dans le cinéma, rien. »

Godard, comme le Truffaut critique, oublie et méprise volontairement le cinéma anglais en général et en particulier le fait que les Anglais produisirent plusieurs films de propagande antinazie dans les années 40, avant de poursuivre après-guerre une intense production commerciale – souvent très académique et barbante il faut bien l’admettre – sur le combat des forces allies dans les trois continents et la bataille d’Angleterre. Ce film échapperait-il a l’anathème godardien sous prétexte que son réalisateur est brésilien, et que sa carrière vagabonde le conduisit à réaliser des bandes d’avant-garde, des fictions ou des documentaires aussi bien en Angleterre qu’en France en RFA ou en Italie, avec un détour par le pays natal ? Pas sûr. Si Went the Day Well? repose avant tout sur une idée géniale du grand écrivain catholique anglais Graham Greene, le traitement de Cavalcanti est profondément surprenant et le film ne manque pas de qualités cinématographiques et d’un esprit typique du cinéma britannique dans ce qu’il a de meilleur, ce grain de folie prêt à surgir d’une gangue de conformisme et de conventions. La description d’une petite communauté humaine est remarquable, ainsi que la mise en scène des actions de commando puis de l’assaut final, réaliste et puissante.

Went the Day Well? de Cavalcanti

Went the Day Well? de Cavalcanti

Went the Day Well?, inédit en France et librement adapté d’une nouvelle de Graham Greene The Lieutenant Died Last écrite en 1940, est un film de propagande mettant en garde le peuple anglais contre la cinquième colonne et le risque d’une invasion allemande, pris au sérieux au début des années 40. Contrairement à la majorité des films de guerre il ne s’inspire pas d’événements réels mais imagine au contraire quelque chose qui n’est jamais survenu, à savoir le débarquement de soldats allemands sur le sol britannique. Autre curiosité, le film débute dans le futur, une fois la guerre terminée et gagnée par les Alliés. Dans le cimetière d’une petite bourgade fictive de la campagne anglaise, on trouve une tombe avec des noms allemands inscrits dessus. Un homme va s’adresser à la caméra et raconter aux spectateurs la plus incroyable des histoires. Le film est donc un long retour en arrière décrivant la prise de contrôle du village par des soldats allemands déguisés en anglais et parlant – presque – tous parfaitement la langue de Shakespeare, en avant-garde de l’invasion massive du Royaume-Uni par les troupes allemandes. L’infiltration se fait d’abord en douceur, avec la complicité du châtelain du village qui est en fait un espion nazi et dont la traîtrise va sévir tout au long du film, avant que les soldats n’éveillent les soupçons de certains habitants et révèlent enfin leur véritable identité. Les moyens de communications sont neutralisés, et la population retenue prisonnière dans l’église. Le ton badin du début, caractéristique des comédies Ealing avec des personnages de provinciaux pittoresques et gentiment ridicules cède la place à un climat d’angoisse et à des scènes de violence et d’horreur pure, comme le meurtre à la hache d’un soldat allemand par une femme âgée rondelette et sympathique, soudainement transformée en résistante prête à tout pour enrayer l’invasion nazie. C’est le premier acte de résistance du village avec celui du prêtre faisant sonner les cloches de son église malgré l’interdiction d’un officier allemand, lui aussi abattu sur le champ. Le film exalte le courage et la volonté des Anglais devant la menace ennemie, des premières initiatives individuelles jusqu’à la grande bataille finale où tout le monde participe à la déroute du projet nazi.

Went the Day Well? de Cavalcanti

Went the Day Well? de Cavalcanti

Certes les Anglais n’ont pas réalisé Rome, ville ouverte et n’ont pas inventé le cinéma moderne, mais des réalisateurs talentueux comme Cavalcanti – surtout connu pour sa participation au classique du fantastique Au cœur de la nuit – ont signé des films remarquables dont il est temps de vanter les qualités de ce côté-ci de la Manche.

 

 

 

 

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