Olivier Père

Le Port de l’angoisse de Howard Hawks

ARTE diffuse dimanche 19 avril à 20h45 Le Port de l’angoisse (To Have and Have Not, 1944) de Howard Hawks.

« En 1942, Harry Morgan, le propriétaire d’un yacht à la Martinique, gagne sa vie en emmenant à la pêche de riches touristes. Gérard dit « Frenchy », gaulliste convaincu et patron de l’hôtel où il loge, demande à Harry de l’aider à faire entrer clandestinement dans l’île un chef de la Résistance. D’abord réticent, Harry accepte, acculé par le besoin d’argent. »

Le film serait né d’un pari en forme de défi. Hawks prétend avoir dit à son ami Hemingway qu’il était capable de faire un bon film d’après son plus mauvais roman. Hemingway lui conseilla donc de choisir To Have and Have Not (1937), publié en français sous le titre littéral En avoir ou pas chez Gallimard en 1945.

C’est Jules Furthman et William Faulkner qui se chargèrent de l’adaptation. Plusieurs versions du scénario attestent de nombreuses modifications successives de l’histoire, et c’est Faulkner qui résolut les problèmes de la transposition de l’action de Cuba – comme dans le roman – à la Martinique, territoire français sous juridiction vichyste, procédant aussi à des réécritures tardives pendant le tournage. Rien n’a été gardé du roman, à l’exception du couple principal, dont Hawks et ses scénaristes imaginent la rencontre. La volonté des producteurs de profiter du succès colossal de Casablanca est manifeste et Le Port de l’angoisse reprend certains ingrédients du film de Curtiz, à commencer par sa vedette Humphrey Bogart.

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Port de l'angoisse

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Port de l’angoisse

Sous sa désinvolture apparente Le Port de l’angoisse est un modèle touchant à la perfection de l’art hawksien, une leçon de cinéma et de morale, et donc de morale cinématographique. Harry Morgan (Bogart) le héros américain du film, d’abord présenté comme un aventurier cynique, individualiste et matérialiste, finira par s’engager auprès des Résistants gaullistes pour y défendre une valeur encore plus importante que l’argent, la liberté. Morgan connaît aussi les vertus de l’amitié, comme en témoigne sa relation avec le vieil ivrogne Eddie (irrésistible Walter Brennan) sur lequel il veille, et de l’amour. Le coup de foudre entre Harry et Marie, une jeune femme encore plus cynique et effrontée que lui, se prolongera dans la vraie vie puisque Bogart et Lauren Bacall, dont c’est le tout premier film, tomberont amoureux sur le plateau du Port de l’angoisse. Hawks a découvert Lauren Bacall et tel un Pygmalion l’a façonnée selon sa vision idéale de la femme : belle, courageuse et indépendante, avec des « qualités » viriles qui contrastent avec son élégance et sa sophistication. L’apparence physique et la caractérisation de Bacall dans Le Port de l’angoisse sont calquées sur la propre épouse de Hawks, un séduisant mannequin surnommé « Slim » comme Marie dans le film.

Hawks filme à hauteur d’homme, et il filme aussi au présent. Seules les actions et les décisions – immédiatement suivies d’actions – de ses personnages l’intéressent, et elles sont vouées à la réussite. Le Port de l’angoisse – titre français à côté de la plaque, le danger existe chez Hawks mais l’angoisse n’a pas sa place – s’éloigne radicalement de Hemingway, pas seulement dans ses péripéties mais aussi dans sa vision de l’existence. L’écrivain se penche sur des hommes rongés par le déclin, des perdants marqués par la vie, Hawks célèbre des personnages positifs triomphant de l’adversité, avec bravoure et décontraction, imposant leur loi et refusant toute compromission. « Hawks est, dans son classicisme, le cinéaste du présent et, par extension, le cinéaste du bonheur. » (Jacques Lourcelles)

 

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Un commentaire

  1. derouet dit :

    Le film est vaguement basé sur le roman de 1937 d’Hemingway que je n’ai pas lu. Il s’agit surtout d’une tentative de Warner Bros. de reproduire le grand succès de Casablanca en 1942. Par conséquent, il contient les mêmes ingrédients : Bogart à nouveau dans le rôle de l’expatrié US célibataire, sardonique et politiquement apathique à l’apparence dure, mais pas que, un lieu exotique étranger pendant la 2ᵉ Guerre, la Martinique, une intrigue dramatique similaire avec des résistants français libres (gaullistes), un chef de police de Vichy et une belle romance pour faire ressortir l’autre aspect du personnage incarné par Bogart se déroulant dans un bar d’hôtel enfumé avec un pianiste. Alors que Casablanca se déroule comme une partie d’échecs, Hawks préfère placer ses personnages dans un danger imminent pour le plaisir de l’action. Et même si personne ne pouvait remplacer Ingrid Bergman, Lauren Bacall qui avait 19 ans, a introduit une sensualité à l’écran qui lui était propre.
    Comme dans Casablanca le film comporte dans ses personnages secondaires et ses intrigues secondaires, avec le pianiste de confiance, la situation politique difficile et les personnages présentant une forte ressemblance avec ceux joués par les excellents Sydney Greenstreet et Peter Lorre En effet, j’ai de nouveau énormément apprécié les apparitions toujours truculentes du vieux marin alcoolique interprété par Walter Brennan (dans Rio Bravo, il est le vieux personnage qui aide John Wayne) et le commissaire interprété par l’inquiétant Don Seymour. Rien que ces 2 interprètes enrichissent efficacement l’histoire. 
    Les dialogues écrits par Jules Furthman et William Faulkner sont étincelants, sont magnifiquement renforcés par la prestation des acteurs, entraînés par Hawks, qui a fait développer à Lauren Bacall une voix rauque et sensuelle. Bacall, est vraiment une révélation et sa relation avec Bogart, à l’écran comme en dehors, devient légendaire.
    La scène la plus célèbre – c’est celle qui comprend la phrase sensuelle de Bacall « Tu sais siffler, n’est-ce pas, Steve ? Tu joins juste tes lèvres et tu souffles » – a été crée par Hawks lui-même, comme un test d’écran pour Bacall, sans avoir l’intention de l’utiliser dans le film final. Consciemment ou non, la scène introduit une dynamique homme/femme intéressante, puisque Bacall initie et dirige l’action.
    Bien que le film n’ait pas dans l’ensemble la sophistication du film de Curtiz que paradoxalement, j’apprécie moins. L’interaction entre Baccall et Bogart est absolument magique, Hawks a en plus fait développer à Lauren Bacall une voix rauque et sensuelle. Hawks utilise pleinement l’éclairage et la mise sa scène, le style Warner pour attirer notre attention sur son duo.
    Hawks, Furthman et Faulkner ont fait équipe avec Le grand Sommeil de 1946, mon préféré, tandis que Bogart et Bacall ont de nouveau fait équipe en 1947 dans Dark Passage qui est un bon film et encore en 1948 pour Key Largo. À noter que Curtiz a filmé sa propre version de l’histoire en 1950 sous le titre The Breaking Point avec John Garfield dans le rôle de Bogart et Patricia Neal dans celui de Bacall mais pas vraiment concluant.

    Contexte Géopolitique de l’époque du film : 
    L’un des principaux changements apportés au film a été de déplacer le décor du roman à Cuba, à la Martinique, contrôlée par Vichy, après que l’administration Roosevelt s’y soit opposée, pensant que cela pourrait mettre à rude épreuve les relations cubano-US.
    Quelques rappels : L’avènement de la Révolution populaire de 1933, qui mit fin à la dictature de Gerardo Machado, inquiéta les USA qui envoyèrent des navires de guerre pour écraser l’aspiration des Cubains à une plus grande souveraineté. Ce fut le sous-secrétaire d’État de l’époque Sumner Welles, qui se chargea de cette tâche, avec la complicité de Batista, la révolte des sergents, pour renverser le gouvernement populaire de Ramón Grau San Martín et Antonio Guiteras, au profit d’une nouvelle doctrine qui consistait à s’appuyer sur un homme fort pour défendre les intérêts des USA sur place.
    Comme le dit l’ambassadeur de l’époque US George S. Messersmith, le mouvement révolutionnaire a été liquidé ! Suite à l’adoption de la Constitution de 1940, qui remplaça celle de 1901, imposée sous la contrainte militaire des USA, Batista devient Président jusqu’en 1944, tout en restant un fidèle serviteur des intérêts US. Les suivants, Ramón Grau San Martín et Carlos Prío Socarrás dont le pouvoir fut marqué par une grande corruption, ont maintenu l’alliance avec le puissant voisin. Dans le Parrain II le pouvoir de Batista est évoqué, mais a son retour suite au coup d’État de 1952… 

    Sources :
    Les Bonus du DVD. 
    2 extraits :
    https://youtu.be/JBzaIy1sEUM?si=7J6VZVV9ldkz0iau
    https://youtu.be/LNEBIN_8xII?si=7zfidJxDmxtxab-S

    Sur Cuba :
    George S. Messersmith « Memorandum by the Ambassador in Cuba, 8 janvier 1941, Foreign Relations of the United States.
    https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1941v07/d134
    Campaña Presidencial de Fulgencio Batista. Primer mandato 1940 – 1944. » :
    https://youtu.be/T28S7fbL01k?si=-SsRRH2yWPpfwpLk

    La Martinique sous la botte de Vichy :
    https://www.geo.fr/histoire/seconde-guerre-mondiale-la-martinique-sous-la-botte-de-vichy-194978
    L’amiral Robert & Constant Sorin – 1941 :
    https://www.youtube.com/watch?v=uCBZ1Pcq6Dw

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