Potemkine a entrepris un vaste travail de réédition et de restauration de l’œuvre complète de Werner Herzog, en salle et en DVD. Une rétrospective circule actuellement dans toute la France, tandis que deux documentaires inédits La Soufrière (1976) et Gasherbrum (1985) sont sortis à la fin de l’année dernière sous le titre Les Ascensions de Werner Herzog. Un beau coffret réunit ses premiers films, documentaires et fictions mêlés, déjà. Werner Herzog appartient avec Wim Wenders, Rainer Werner Fassbinder, Werner Schroeter, Volker Schlöndorff ou Hans Jürgen Syberberg à cette génération de cinéastes qui durent réinventer le cinéma allemand, après la catastrophe du nazisme et la médiocrité de la production d’après-guerre, marquée par la fuite des grands talents partis travailler à Hollywood dans les années 30.
Herzog, malgré l’héritage assumé de Murnau en particulier, est l’antithèse du cinéaste cinéphile, plongé dans une démarche réflexive et intellectuelle. La singularité de Herzog, dès ses débuts, va consister à puiser dans la culture et l’histoire germaniques quelques-uns de ses sujets, et surtout le style visuel de ses films, mais surtout à imposer une vision poétique sur le monde, dans une perpétuelle recherche de situations, de personnages et de paysages limites, que ce soit dans le domaine de la fiction ou du documentaire.
Autodidacte, grand sportif, grand voyageur, grand mélomane (il mettra en scène de nombreux opéras), Herzog va appréhender le cinéma comme une expérience artistique et physique, et toute son œuvre peut se voir comme une illustration du mythe de Sisyphe : un défi lancé à l’impossible. Herzog a filmé dans toutes les régions du globe, souvent les plus sauvages, les plus reculées et dangereuses. Il s’est souvent plongé dans un passé plus ou moins onirique sans jamais dédaigner, grâce au documentaire, le monde contemporain, pour dresser le portrait tragique d’une humanité en conflit permanent avec la société et la nature.
Né dans un village de Bavière en 1942, Werner Stipetic (vrai nom de Herzog) réalise très jeune des courts métrages et signe à 24 ans son premier long métrage, Signes de vie (1968). Toutes les composantes de son cinéma sont déjà réunies : la folie, la magie des décors naturels, le désir de s’affranchir des frontières géographiques de l’Allemagne (le film est tourné en Crète) tout en revendiquant une forte influence du romantisme (Signes de vie est une adaptation moderne d’un récit d’Achim von Arnim). Herzog réalise ensuite un essai poétique tourné au Sahara (Fata Morgana) à la poursuite des mirages, un documentaire sur une femme aveugle et sourde (Le Pays du silence et de l’obscurité) puis une fable étrange sur la violence et la révolte entièrement interprété par des nains: Les nains aussi ont commencé petits (1970, photo en tête de texte), qui établit sa réputation de cinéaste déviant, génial pour certains, douteux pour d’autres. Le premier triomphe international de Herzog est Aguirre, la colère de dieu (1972). Cette fantaisie historique sur la quête de l’Elodorado par le conquistador Don Lope de Aguirre au 16ème siècle, des montagnes du Pérou jusqu’à l’Amazonie demeure un des chefs-d’œuvre du cinéma contemporain et un des meilleurs films de Herzog, emblématique de son art. Les images sont sublimes, entre hyperréalisme et onirisme, et la musique planante de Popul Vuh achève de transformer le film en trip hallucinogène. Le cinéaste expérimente des conditions de tournage extrêmement périlleuses dans la jungle péruvienne. Klaus Kinski, réquisitionné pour jouer Aguirre, empoisonne l’atmosphère déjà putride de la forêt vierge par ses caprices et ses colères. Grande vedette allemande du théâtre et du cinéma, Kinski avait déjà joué dans plus de 80 films avant Aguirre, souvent des petits rôles dans des séries B. Cabotin talentueux mais souvent pénible, Kinski a été transfiguré par Herzog qui a utilisé au mieux son physique bestial et son regard illuminé. La mauvaise humeur de Kinski et les conflits permanents entre l’acteur et le cinéaste sont entrés dans la légende, devenant un argument publicitaire à chaque nouvelle collaboration entre les deux hommes. Parmi les grands films de Herzog des années 70, il y a aussi L’Enigme de Kaspar Hauser (1974) avec Bruno S., un marginal marqué par une enfance douloureuse et de longs séjours en institutions psychiatriques. Bruno S. incarne Kaspar Hauser, cas véritable d’homme sauvage apparu dans l’Allemagne du 19ème siècle qui offre à Herzog l’occasion d’une magnifique rêverie philosophique sur l’innocence, l’éducation et la civilisation.
Ce coffret contient également un essai de Emmanuel Burdeau sur Herzog, des courts métrages, des entretiens et surtout les commentaires audio des films par Herzog en personne.
A suivre…
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