Olivier Père

Les Croix de bois de Raymond Bernard

Si Les Ailes de William A. Wellman idéalise le panache et l’héroïsme des pilotes américains – sans rien occulter de la violence et de la folie destructrice des combats, Les Croix de bois (1931) de Raymond Bernard, qui ressort en salles et en Blu-ray le mercredi 12 novembre dans une somptueuse restauration due à Pathé, adaptation fidèle du roman éponyme de Roland Dorgelès produite par Pathé-Natan est un terrible réquisitoire contre la Première Guerre mondiale. Comme son titre l’indique le film est tout entier voué à la mémoire des morts, les anonymes et les sans-grades, tous les « poilus » qui n’obtinrent qu’une croix de cimetière en guise de médaille militaire.

Hanté par le souci d’authenticité, par respect pour les soldats, le film bénéficia de moyens considérables mais développa surtout de nouvelles techniques sonores – nous sommes au début du parlant – pour retranscrire avec le plus de réalisme possible le fracas des combats et des explosions, ou le bruit régulier et angoissant des souterrains que les allemands creusent sous les tranchées françaises, grâce à des trouvailles révolutionnaires pour l’époque d’enregistrement et de mixage des sons. Raymond Bernard emploiera aussi des vétérans de la guerre de 14-18 plutôt que des soldats inexpérimentés fournis par l’armée française pour les rôles secondaires et la figuration. Les deux acteurs principaux du film, Pierre Blanchar et Charles Vanel, avaient combattu pendant la « Grande guerre ». Félicité pour sa bouleversante scène d’agonie, Charles Vanel aurait dit : « pour ce film il n’y a pas besoin de jouer, il suffit de se souvenir… »

Les Croix de bois s’attache aux destins de différents soldats du même bataillon, rejoint par un soldat idéaliste, étudiant en droit, Demarchy (Pierre Blanchar). Le jeune engagé découvre avec les spectateurs le quotidien des soldats qui passent parfois de longues semaines avant de tirer un seul coup de fusil.

Raymond Bernard filme alors le froid, l’attente, l’ennui mais aussi la camaraderie qui règnent dans les tranchées, décrivant un groupe de caractères humains issus des différentes couches populaires de la société française de l’époque : ouvriers, paysans ou commerçants, menés par le caporal Breval (Charles Vanel), pâtissier dans le civil, aimé par ses hommes pour son courage et sa droiture.

La mise en scène de Bernard, très expressive, regorge d’images frappantes dans un contexte réaliste, comme lorsque les soldats interrompent soudainement un moment de liesse pour se recueillir devant un cortège de brancardiers revenant du front et transportant des cadavres.

La violence des combats succède au calme avec une deuxième partie consacrée à une interminable bataille (« dix jours » martèle une succession de cartons) au cours de laquelle nos amis soldats perdront presque tous la vie, sous un déluge interrompu d’obus et de mitraille. Le film prend une dimension allégorique lorsque le combat se poursuit dans un cimetière, les vivants et les morts se mêlant dans la boue et les tranchées creusées entre les tombes.

Demarchy finira par perdre la plupart de ses camarades, mais aussi ses idéaux dans cette boucherie où les fantassins servent de chair à canon et sont sacrifiés par le haut commandement. Les Croix de bois est sans nul doute le meilleur film jamais réalisé sur la Première Guerre Mondiale, et c’est aussi le plus formidable pamphlet antimilitariste produit par le cinéma, nous permettant de comprendre l’enfer enduré par les soldats dans les tranchées. Raymond Bernard est un très grand cinéaste dont la filmographie est à redécouvrir et qui a réalisé plusieurs chefs-d’œuvre dans les années 30, parmi lesquels Les Misérables (génial) et ces Croix de bois qui rivalisent en force et en émotion avec l’art de John Ford. Nul lyrisme déplacé, mais un sens implacable de la dramaturgie et de la mise en scène qui place l’homme au cœur du film et de son propos.

Nous en profitons pour signaler que ARTE, qui a déjà consacré au début de l’année un cycle de films classiques sur la Première Guerre mondiale, diffusera dans le cadre de la commémoration du 11 novembre un autre chef-d’œuvre antimilitariste du cinéma français, muet cette fois, J’accuse ! (1919) d’Abel Gance dans une version intégrale restaurée et mise en musique, le mercredi 12 novembre à minuit.

http://cinema.arte.tv/fr/article/jaccuse-mercredi-12-novembre-00h00

 

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