Olivier Père

Borsalino & Co. et Le Gang de Jacques Deray

Pathé vient d’éditer en Combo Blu-ray et DVD, dans des versions restaurées, deux films de Jacques Deray, Borsalino & Co.(1974, photo en tête de texte) et Le Gang (1977). De Jacques Deray et d’Alain Delon devrait-on écrire, tant la star française y règne en maître, interprète principal et surtout producteur de ces deux films très représentatifs d’une décennie au cours de laquelle Delon, après avoir été dirigé par les plus grands cinéastes européens dans les années 60, instrument virtuose mais obéissant entre les mains de Clément, Visconti, Antonioni ou Melville, décide d’exercer un contrôle presque absolu sur ses films, sa carrière et son image, s’adjoignant les services de réalisateurs talentueux et dociles avec des résultats inégaux mais souvent intéressants, voire intrigants.

Borsalino &Co. est la suite directe de Borsalino (1970) très gros succès commercial bâti autour de la réunion à l’écran de Delon et Belmondo en gangsters de charme dans le Marseille des années 30. Le film s’amusait de la rivalité supposée des deux vedettes masculines à l’écran et surtout à la ville. Pourtant le film est laborieux, Belmondo et Delon se contentent de rouler des mécaniques et de cabotiner, l’aventure se conclura par un procès intenté et gagné par Belmondo à cause de la double présence du nom de Delon (avec sa casquette d’acteur et de producteur) au générique. Au-delà de cette guerre des egos Belmondo avait réussi à imposer, malgré lui ou non, un ton décontracté et rigolard au premier Borsalino, bien loin du style habituel de Delon et même de Deray, dégraissé et caractérisé par son esprit de sérieux.

Daniel Ivernel et Alain Delon dans Borsalino & Co.

Daniel Ivernel et Alain Delon dans Borsalino & Co.

Borsalino &Co. peut être vu comme la revanche de Delon qui signe son propre film sans envie aucune de le partager avec quiconque, et y impose sa personnalité de la première à la dernière image. Le film se résume à une vengeance impitoyable qui va déclencher une nouvelle guerre des gangs à Marseille. Roch Siffredi (Delon) pour punir le meurtre de son ami François Capella (Belmondo) élimine un à un les membres de la bande de Volpone, truand italien fasciste qui a décidé de conquérir Marseille grâce au trafic de drogue, considérant l’héroïne et ses ravages dans les classes bourgeoises « décadentes » comme la meilleure arme pour précipiter l’avènement du 3ème Reich (nous sommes dans les années 30 à la veille du début de la guerre, période propice à une reconstitution « rétro » clinquante, à la mode dans le cinéma de cette époque). Une curieuse idée de scénario voit Siffredi assassiner le frère (et sosie) de Volpone (les deux hommes sont interprétés par Riccardo Cucciola) dans le train Paris Marseille au début du film, tandis que quelques bobines plus tard (attention spoiler) le gangster marseillais accomplira sa vengeance en enfournant Volpone dans la chaudière de la locomotive d’un autre train, en direction de l’Allemagne cette fois-ci. Un exécution atroce – et bizarre dans un tel contexte historique – qui souligne l’inhumanité de Siffredi / Delon, désigné comme une machine à tuer mue par un désir aveugle de mort et de destruction, que ses ennemis commettront l’erreur de ne pas exécuter au milieu du film quand il était tombé entre leurs mains (ce qu’il leur exhorte portant de faire.) Le plan de Volpone d’éliminer et d’humilier Siffredi en le torturant à l’alcool pour le transformer en loque humaine se soldera par un cuisant échec (le masochisme de Delon a ici ses limites, on le retrouvera beaucoup plus vulnérable dans des films comme le sublime Professeur de Zurlini ou Notre histoire de Blier), l’indestructible Siffredi organisant sa disparition et sa réapparition quelques années plus tard, plus fort, plus beau et plus déterminé que jamais.

Un Delon minéral et iconique donc, qui pousse à son paroxysme (sa caricature ?) la figure de truand solitaire et méthodique inventée par Melville dans Le Samouraï et prolongée dans Scorpio de Michael Winner. Et ça marche.

Pour les raisons qu’on vient d’évoquer plus haut, et si l’on est sensible au narcissisme de Delon, on est en droit de préférer – à l’instar de Deray, comme le rappelle sa veuve dans les suppléments du Blu-ray – Borsalino &Co. au premier opus, pour sa violence et la simplicité de sa trame, qui conviennent davantage à l’acteur et son réalisateur. Logique de la coproduction italo-allemande oblige, on retrouve avec plaisir dans Borsalino &Co. Plusieurs seconds rôles italiens et allemands, gueules récurrentes des westerns, polars et autres films de guerre des deux côtés des Alpes et du Rhin, comme Adolfo Lastretti, Reinhard Kolldehoff ou Anton Diffring, sans oublier les troisièmes couteaux habituels du cinéma tricolore, Henri Attal, Philippe Castelli, Jacques Debary, André Falcon and Co.

Sixième film de l’association Delon Deray, Le Gang est une nouvelle adaptation (par Jean-Claude Carrière et Alphonse Boudard) d’un bouquin de l’ex inspecteur de police devenu écrivain Roger Borniche, après le succès de Flic Story. Nouveau film rétro, nouvelle évocation du grand banditisme français mais cette fois-ci du point de vue des gangsters avec l’histoire de Pierre Loutrel, dit « Pierrot-le-fou », rebaptisé ici Robert dit « le dingue ».

Le gang des Tractions Avant commence à opérer tout juste après la Libération de la France en 1944. A sa tête, Robert (Alain Delon) organise de nombreux casses qui ont la particularité de ne jamais faire de victime. Les cinq amis mènent la belle vie avec les sommes amassées et le Dingue entame une idylle avec la belle Marinette (Nicole Calfan) sans craindre la riposte des forces de l’ordre complètement dépassées. Robert et ses amis profitent en effet de la réorganisation de la police française juste après la fin de la guerre, qui doit d’abord procéder à l’épuration des collaborateurs dans ses propres rangs avant de s’occuper des criminels et des voyous. Le gang de Robert est lui-même constitué d’anciens résistants, d’un survivant des camps de concentration et d’un voyou qui travailla et dénonça des Juifs pour la Gestapo, cohabitation réussie et symbole ambigu de la réconciliation des différentes familles françaises après l’Occupation. Décontracté et principalement dédié à la vie privée de ces sympathiques voyous cette coprode franco-italienne possède quelques bons moments d’action, notamment la fuite de Delon après un braquage par le toit de la gare de Lyon, jusqu’aux quartiers maghrébins de la capitale où il sera embarqué par une rafle de la police. La scène au cours de laquelle Delon excédé de devoir attendre dans un commissariat rempli d’Arabes et d’Africains, confronté au mépris et au racisme de flics obtus, se saisit d’une mitraillette et laisse exploser sa rage libertaire, est assez savoureuse. Le Gang pâtît à sa sortie – et encore aujourd’hui – de l’idée saugrenue de Delon de s’affubler d’une perruque bouclée (parfois accompagnée de petites lunettes rondes fumées), et d’avoir constamment le sourire aux lèvres, afin de composer un personnage de psychopathe charmant mais imprévisible, très éloigné de ses rôles monolithiques habituels. Delon, avec cette volonté affichée mais maladroite de transformisme « à l’américaine » démontre par l’absurde qu’il n’est pas un acteur de composition, et qu’il lui suffit d’apparaître à l’écran tel qu’en lui même, saisi par une caméra amoureuse, pour exister avec force et évidence. Prince de l’underacting, son modèle étant John Garfield, Delon producteur a finalement mal distribué le rôle principal de son film : le rôle du Dingue eut allé comme un gant à… Jean-Paul Belmondo Ce look improbable à la Ninetto Davoli range Le Gang au rayon des nombreuses curiosités qui parsèment la filmographie de l’acteur. Delon se souvient in extremis de sa propre mythologie de gangster romantique au destin funeste en mourant de manière absurde, abattu par une bijoutière en voulant offrir un bracelet à son amoureuse.

Alain Delon dans Le Gang

Alain Delon dans Le Gang

Abandonnant les costumes rétro et les perruques Delon et Deray se retrouveront pour le meilleur en 1980 dans une adaptation très libre mais réussie du Petit Bleu de la côte ouest de Jean-Patrick Manchette, Trois Hommes à abattre.

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