Olivier Père

Lilith de Robert Rossen et Mickey One de Arthur Penn

Wild Side propose dans sa collection « l’âge d’or du cinéma américain » deux films beaux et rares, Lilith (1964) de Robert Rossen et Mickey One (1965, photo en tête de texte) d’Arthur Penn. Notons d’abord un intéressant glissement sémantique : longtemps l’âge d’or du cinéma américain hollywoodien désigna les années 30, avec sa production pléthorique et les premiers grands chefs-d’œuvre du parlant signés Sternberg, Hawks, Ford, Wellman, Cukor, Lubitsch, DeMille…

Aujourd’hui la réhabilitation progressive du Nouvel Hollywood, ses grands artistes comme ses petits maîtres, la réévaluation des films tardifs et malades des pionniers et des cinéastes classiques hollywoodiens décaleraient cet âge d’or vers les années 60, longtemps jugées décadentes à cause de la crise du système des studios, la prise de pouvoir de la télévision et du cinéma indépendant. Pourquoi pas ? D’autant plus que les deux films en question ouvrent des perspectives critiques passionnantes sur l’état du cinéma américain durant cette période. Lilith est le dernier film d’un cinéaste et scénariste de l’après-guerre qui œuvra toute sa carrière pour les studios, mais que l’on peut considérer comme un auteur et dont l’engagement politique, sensible dans ses films, le conduira à figurer sur la liste noire, victime du maccarthysme. Un cinéaste talentueux et un honnête homme, comme en témoigne Lilith. Mickey One, réalisé un an plus tard est le long métrage le plus radical d’un jeune homme salué dès son premier film par la critique avec un western psychologique, Le Gaucher avec Paul Newman, et qui deviendra en 1967 l’auteur d’un titre étendard du Nouvel Hollywood, pour ses audaces formelles et sa violence, célèbre pour avoir révolutionné le cinéma américain avec La Horde sauvage ou Easy Rider : Bonnie and Clyde.

Lilith et Mickey One possèdent la particularité d’être tous les deux interprétés par Warren Beatty, acteur remarquable qui effectuera la liaison entre le vieil et le nouvel Hollywood, travaillant simultanément avec Kazan, Stevens, Rossen, Brooks et Penn, Altman, Pakula, Ashby avant de passer lui-même à la production et à la réalisation.

Jeune premier pas comme les autres, future star aux idées aussi arrêtées que son physique était avantageux, Beatty se fera un point d’honneur à ne travailler qu’avec d’excellents metteurs en scène sur des projets ambitieux et souvent anti commerciaux, développant sa propre mythologie au contact de fortes personnalités – ses relations ombrageuses avec Altman – , écopant d’une très mauvaise réputation d’acteur difficile obsédé par le contrôle et le perfectionnisme, avant de devenir seul maître à bord de projets supérieurement intelligents et courageux comme Reds ou Bulworth.

Lilith : un émouvant chant du cygne

Jean Seberg et Warren Beatty dans Lilith

Jean Seberg et Warren Beatty dans Lilith

Robert Rossen termina prématurément sa carrière avec un chef-d’oeuvre Lilith, doublé d’un film maudit. La carrière de Robert Rossen, scénariste devenu cinéaste et qui signa plusieurs bons films (Sang et Or, Les Fous du roi, L’Arnaqueur) et future victime (mais aussi un dénonciateur) de la chasse aux sorcières, ne laissant pas présager un dernier film comme Lilith (Rossen, gravement malade devait mourir deux ans plus tard, à l’âge de cinquante sept ans.) Lilith raconte l’histoire de Vincent (Warren Beatty), jeune homme mal dans sa peau – il revient de la guerre et vit dans le souvenir de sa mère morte alors qu’il était encore enfant –  qui se fait embaucher comme aide soignait dans une clinique psychiatrique. Il ne tarde pas à tomber amoureux d’une jeune patiente, Lilith (Jean Seberg), une jeune schizophrène, et découvre que cette dernière entretient des relations sexuelles indifférenciées avec d’autres malades de la clinique et aime séduire les petits garçons. La fréquentation de l’univers de la folie finit de déstabiliser Vincent, dont la mère était folle, et l’impossible histoire d’amour des deux jeunes gens finir tragiquement. Chronique provinciale, drame psychologique, peinture d’une institution psychiatrique, Lilith est surtout un essai de cinéma poétique qui détonne dans la production américaine. Si à la même époque les essais de cinéma poétique dominent (Bergman, Godard, Pasolini), le film de Rossen, qui ne leur doit pourtant rien, s’éloigne des canons esthétiques du cinéma à sujet. Malgré son sujet (la folie), son approche de thèmes sexuels scabreux, Lilith délaisse les sentiers battus (la même année qu’Un enfant attend de John Cassavetes, autre film d’écorché vif) pour s’engager sur les chemin rarement explorés au cinéma de la description de l’âme des personnages. Cela n’est jamais théorique, mais au contraire sensuel, incarné. Mélange de réalisme et d’onirisme, sublimation de la nature, surimpression et fondus enchaînés confèrent au film un climat envoûtant et trouble, associé à une description d’une subtilité incroyable des caractères, à mille lieues des clichés hollywoodiens sur la maladie mentale. Il faut parler du couple magnifique formé par Beatty et Seberg. Ce sang neuf d’acteurs encore presque vierges (ne pas oublier la présence extraordinaire des débutants Peter Fonda et Gene Hackman) renforce la modernité du film de Rossen, qui anticipe tout un courant du cinéma indépendant américain sur la fêlure féminine (Wanda de Barbara Loden, Rachel, Rachel de Paul Newman, Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg.)

 

Mickey One : une expérience limite

Warren Beatty dans Mickey One

Warren Beatty dans Mickey One

Mickey One est un cas plus particulier encore, exemple de ce que le cinéma américain pouvait produire de plus expérimental et de plus intellectuel à l’époque. Arthur Penn, réalisateur à la mode depuis Le Gaucher bénéficie d’une carte blanche pour Mickey One et entend réaliser un film à petit budget contre la tyrannie des studios, dans un désir de transgression narrative et visuelle, avec une liberté de ton et de style inspirée de la Nouvelle Vague et du cinéma d’auteur européen, du jazz et de Kafka (on pense aux films tchèques de Forman et Passer, à ceux du polonais Skolimowski.) Mickey One est une fable absurde tentée par l’abstraction dans laquelle un petit acteur de stand up comedy (Warren Beatty), pourchassé par la mafia, change de ville et d’identité. Mais une menace continue de peser sur ses épaules. Film sur la paranoïa, se dérobant au sens avec de permanentes ruptures de ton, Mickey One bénéficie de superbes images en noir en blanc signées Ghislain Cloquet,  brillant directeur de la photographie entre autres de Resnais (Nuit et Brouillard), Becker (Le Trou), Malle (Le Feu follet) et qui travaillera plus tard avec Bresson et Demy. Mickey One demeure l’un des films les plus étranges et inclassables du cinéma américain des années 60, aux côtés de The Swimmer de Frank Perry. Pratiquement invisible depuis son échec cuisant à sa sortie, cette curiosité aux séduisantes dissonances compte Vincent Gallo parmi ses plus fervents admirateurs. Le cercle des fans devrait s’élargir avec la sortie de ce DVD.

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