En attendant de découvrir à partir du 25 décembre son nouvel opus Le Loup de Wall Street, le distributeur Mission nous offre l’opportunité de revoir en salles depuis le 18 décembre le premier long métrage « hollywoodien » de Martin Scorsese – il y avait eu auparavant un essai quasi autobiographique, tourné en toute indépendance à New York et interprété par Harvey Keitel, Who’s that Knocking at my Door ? (1967.) Bertha Boxcar (Boxcar Bertha, 1972) est déjà porté par les préoccupations et le style de l’auteur de Raging Bull. Rien de très étonnant de la part du cinéaste le plus obsessionnel et tourmenté de sa génération, qui parvient dès ce titre très commercial à imposer son talent virtuose, notamment grâce à un montage les inserts de gros plans, les variations de vitesse de l’image, les accélérations rythmiques. Bertha Boxcar est produit par Roger Corman pour l’American International Pictures, compagnie de production spécialisée dans le cinéma d’exploitation. Corman employait des jeunes talents motivés – et pas chers – pour mettre en scène de films de genre avec une marge de liberté proportionnelle à l’étroitesse du budget. Malgré sa pingrerie légendaire, cet entrepreneur de spectacle avisé accordait une vraie confiance à ses poulains, passés les conseils préliminaires d’usage : de la nudité et de la violence à chaque bobine. Corman sera servi, puisque Scorsese va multiplier les scènes d’amour décomplexées entre Hershey et Carradine, amants à l’écran comme à la ville, et les fusillades sanguinolentes influencées par Penn et Peckinpah. Le film s’achève sur un massacre qui annonce la tuerie salvatrice de Taxi Driver, mais vient aussi après ceux de La Horde sauvage et Bonnie and Clyde. Tiré d’une histoire vraie, Bertha Boxcar est une tentative avouée de profiter de la mode des films de gangsters en costumes, lancée par le succès de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn et de Bloody Mama de Corman lui-même. Pendant la Grande Dépression, dans le Sud profond, Bertha Boxcar est une jeune femme insoumise qui va bientôt former avec son amant syndicaliste, un yankee juif et un Noir un gang de bandits au grand cœur pillant les trains d’une puissance compagnie ferroviaire. On trouve dans Bertha Boxcar des accents libertaires et anticapitalistes en vogue au début des années 70 aux États-Unis. Comme par hasard, Scorsese sortait à l’époque du montage harassant du documentaire Woodstock. Plus intime est la curieuse assimilation du héros socialiste à l’image du Christ, dès sa première apparition où il harangue une foule d’ouvriers, jusqu’à sa mort horrible, crucifié sur un wagon à bestiaux devant les yeux de sa maîtresse. Dans La Dernière Tentation du Christ, Scorsese filmera la mise en croix exactement de la même façon, et choisira Barbara Hershey pour interpréter Marie Madeleine. Le montage est déjà l’œuvre de la grande Thelma Schoomaker, monteuse attitrée de tous les films de Scorsese, et la forme du film excède largement la moyenne des productions AIP, généralement très prosaïques, avec déjà les mouvements de caméra et les cadrages expressifs qui feront la gloire de Scorsese. Notons enfin que Bertha Boxcar est le premier film « féminin » de Scorsese, qui n’en tournera pas beaucoup d’autres (à l’exception notable du méconnu et excellent Alice n’est plus ici en 1974). On peut le regretter, car il filme Bertha Boxcar, fille indépendante malmenée par la vie, amoureuse réduite à la prostitution et au crime par une société cruelle, non pas comme un catholique dévoyé, mais comme un cinéaste pudique et sensible. A noter dans un rôle secondaire la présence de Barry Primus, acteur ami de De Niro qui sera de nouveau employé par Scorsese dans New York, New York et qu’on aime particulièrement dans Frissons d’horreur, formidable giallo d’Armando Crispino.
Bertha Boxcar de Martin Scorsese
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