Olivier Père

Le Rêve de Cassandre de Woody Allen

Le Rêve de Cassandre (Cassandra’s Dream, 2007) de Woody Allen est diffusé ce soir sur ARTE à 20h50. Vu et revu j’aime beaucoup ce film très sous-estimé dans la carrière de Woody Allen, qui avait retrouvé avec Match Point un nouveau souffle et explore ici les mêmes thématiques.

C’est sans conteste le film le plus sombre du cinéaste (l’une des raisons de son rejet par le public), dans une veine dostoïevskienne déjà illustrée par Crimes et Délits (un autre sommet de l’œuvre du cinéaste new yorkais), qui vient ici se doubler d’une influence hitchcockienne, période anglaise bien sûr.

Londres, de nos jours. Sur un coup de cœur, deux frères issus d’un milieu modeste s’offrent un voilier qu’ils baptisent « Cassandra’s Dream », le rêve de Cassandre. Une vraie folie car ni l’un ni l’autre n’ont réellement les moyens d’assumer ce signe extérieur de richesse.
Terry (Colin Farrell) travaille dans un garage tandis que Ian (Ewan McGregor) dirige le restaurant de leurs parents.
Lorsque le premier est confronté à une importante dette de jeu et que le second s’éprend d’Angela, ambitieuse comédienne de théâtre, ils sont obligés de solliciter l’aide de leur oncle Howard (Tom Wilkinson) qui a fait fortune en Californie.
En contrepartie de son solide coup de pouce financier, il leur demande de lui rendre un petit service : assassiner l’un de ses associés dont les révélations à la police pourrait conduire l’oncle Howard, homme d’affaires véreux, directement en prison.

Tom Wikinson, Ewan McGregor et Colin Farrell

Tom Wikinson, Ewan McGregor et Colin Farrell

C’est le film du dilemme et de la crise morale, du pouvoir corrupteur de l’argent. Jusqu’où peut-on aller pour se payer la vie de ses rêves (femmes, argent, et succès) ?

Il faut noter que Woody Allen, lorsqu’il s’intéresse au meurtre, ne traite pas de crimes passionnels mais d’assassinats uniquement motivés par l’appât du gain, la volonté de préserver – ou d’obtenir – coûte que coûte une situation sociale enviable. Le confort bourgeois, l’arrivisme, la fortune matérielle sont ainsi les seules valeurs et obsessions de personnages qui ont franchi la ligne qui sépare le Bien du Mal.

Woody Allen est d’un pessimisme absolu, angoissé par les questions du choix et du châtiment. Il étudie au travers de deux frères d’abord unis et amis puis antagonistes les réactions d’un homme vivant dans un monde sans Dieu (Ian), et au contraire celles d’un homme hanté par la faute et la crainte du châtiment divin (Terry.) Cassandre, figure de la mythologie grecque connue pour sa beauté et aussi son don de prédire l’avenir donne non seulement son nom au bateau des deux frères, qui sera le théâtre du dénouement tragique, mais aussi le sens du film de Woody Allen. Cassandre est le symbole de la lucidité qui se heurte à la non croyance et à l’ignorance. Chez Eschyle elle vit son don divinatoire comme une malédiction, impuissante à changer le cours des choses malgré ses pouvoirs. Terry adepte des jeux de hasard, persuadé de posséder une martingale se verra incapable de résister aux injonctions de son oncle et de son frère et sombrera dans le désespoir, craignant autant le jugement de Dieu que celui des hommes.

Le climat londonien à réussi à Woody Allen puisque loin de Manhattan il a signé dans la capitale britannique entre 2005 et 2010, à l’occasion d’un périple européen, quatre films remarquables : Match Point, Scoop, Le Rêve de Cassandre et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Le Rêve de Cassandre bénéficie exceptionnellement d’une partition originale, composée par Philip Glass, alors que Woody Allen a d’habitude recours à des musiques préexistantes (souvent du jazz) pour accompagner ses films. Preuve supplémentaire que le cinéaste s’amuse toujours à faire certaines entorses aux règles qu’il s’est fixé dans un système productif et esthétique bien balisé depuis la fin des années 70.

 

PS : Le lendemain de la première diffusion du Rêve de Cassandre sur ARTE les spectateurs parisiens auront la possibilité de voir ou revoir Crimes et Délits (Crimes and Misdemeanors, 1989) de Woody Allen à la Cinémathèque française, le jeudi 5 décembre à 16h30, présenté par William Friedkin en personne dans le cadre de la carte blanche que lui a offerte le festival « Toute la mémoire du monde » organisé par la vénérable institution cinéphilique.

 

 

 

 

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