Olivier Père

Retour à l’aube de Henri Decoin

Avant BB il y avait DD soit Danielle Darrieux, star préférée des Français dès son plus jeune âge, actrice géniale à la modernité pétillante, symbole de l’élégance et de la légèreté, mais aussi héroïne aussi crédible dans la tragédie que dans la comédie. Elle a brillé dans ces deux registres sous la direction de son mari Henri Decoin dans les années 30. Nous n’avons pas encore vu Battement de cœur (en quête d’un DVD) mais Abus de confiance et Retour à l’aube sont des mélodrames chrétiens qui pourraient rivaliser en larmes, dilemmes moraux et situations rocambolesques avec les films italiens de Matarazzo, l’excès baroque en moins, mais l’émotion aussi forte. Retour à l’aube est aussi émouvant que totalement imprévisible. Piégée dans un mariage sans amour, Anita (DD) rêve d’une autre vie. A 18 ans elle a épousé le chef de gare (Pierre Dux) d’une petite ville hongroise où ne se passe rien, sauf les trains qui ne font que passer. L’arrêt de cinq minutes du train de Budapest, enfin décidé, devient un événement local aussi dérisoire que frustrant pour la jeune femme qui s’ennuie ferme avec un mari guère romantique. L’occasion de rompre avec la monotonie se présente lorsqu’elle doit se rendre à Budapest pour toucher un héritage. Elle rate le train du retour et se retrouve seule dans la grande ville. La magnifique robe du soir qu’elle s’est achetée lui permet d’endosser une nouvelle personnalité et d’encourager les malentendus (les thèmes de l’imposture, du mensonge et du désir irrépressible d’échapper à sa condition sont également au cœur d’Abus de confiance et de Premier Rendez-vous.) Les splendeurs et richesses de la capitale s’offrent alors à la jeune paysanne qui va se prendre pour une vraie princesse, faire la fête toute la nuit et s’étourdir jusqu’à l’amour fou dans les bras d’un aventurier qui lui aussi dissimule sa véritable identité.

Film merveilleux, dans tous les sens du terme, découvert grâce à René Chateau qui l’a édité en DVD à la vente le mois dernier. Henri Decoin, amoureux et admiratif de Danielle Darrieux – on le comprend – lui a consacré (offert) une série de films qui constitue sans nul doute le sommet de sa filmographie. Quelques titres charmants mais mineurs – Mademoiselle ma mère (1937) par exemple – mais surtout une salve de films qui comptent parmi les meilleurs de la production française des années 30 et du début des années 40, peu avare en titres exceptionnels : Abus de confiance (1937), Battement de cœur (1941), Premier Rendez-vous (1941) et ce Retour à l’aube (1938) qui fut souvent désigné, avec justesse, comme un œuvre onirique. L’escapade urbaine de la petite provinciale grisée par les tentations de la ville évoque toute une tradition littéraire et cinématographique qui va de Flaubert à Murnau. L’enchaînement des péripéties provoquées par son retard à la gare s’apparente à un rêve qui tourne au cauchemar, avec comme seul réveil possible (après une mémorable série de crises d’hystérie) un triste retour à la réalité, le lendemain au petit matin après l’ivresse nocturne. On retrouve ici un pessimisme foncier qui est la marque du cinéma français des années 30, mais aussi une virtuosité de chaque instant et à tous les niveaux (récit, interprétation, mise en scène) qui n’a rien à envier aux films américains de la même époque. Avec Retour à l’aube et Abus de confiance Decoin se hisse au rang des grands cinéastes. Dommage que son travail s’abîme ensuite dans un océan de conformisme avec trop de produits commerciaux dénués d’ambition jusque dans les années 60, à quelques exceptions près (parmi lesquelles deux « Gabin movies » très recommandables et revus récemment, La Vérité sur bébé Donge bonne adaptation de Simenon avec Danielle Darrieux une nouvelle fois admirable, Razzia sur la chnouf excellent polar qui vient d’être réédité en Blu-ray chez Gaumont.) Decoin a sans doute donné le meilleur de lui-même dans les années 30, à l’instar de Julien Duvivier et de quelques autres. Mais il faut poursuivre l’exploration de sa filmographie à la recherche de petites perles. L’ouvrage de Paul Vecchiali consacré au cinéma français classique, la déjà mythique « Encinéclopédie » en deux volumes (Editions de l’œil) est un outil précieux et passionnant pour cette réévaluation d’une production nationale trop méprisée car souvent méconnue, victime de préjugés ou tout simplement oubliée.

 

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