Olivier Père

Le Bal des vampires de Roman Polanski

ARTE fête Halloween à sa façon en proposant une « nuit des vampires » qui débute ce soir à 20h45 avec la diffusion du Bal des vampires (The Fearless Vampire Killers, 1967) de Roman Polanski.

Le Bal des vampires s’ouvre sur l’image très graphique d’un paysage où dominent le bleu de la nuit et le blanc de la neige. Le son du grelot d’un traîneau est bientôt recouvert par la voix du narrateur qui nous présente le professeur Abronsius (Jack MacGowran) et son disciple le jeune Alfred (Roman Polanski), emportés vers leur destin au rythme chaotique de leur véhicule. Cette toute première sensation, émerveillée, de feuilleter un livre de contes, perdurera pendant toute la vision du film.

Le Bal des vampires est le premier grand film commercial de Roman Polanski, son premier long métrage en couleur et écran large, bénéficiant d’un budget confortable, coproduit par les Etats-Unis et un studio hollywoodien. Le producteur américain Marty Ransohoff impose à Polanski une version amputée de 20 minutes avec un dessin animé en prologue qui dévoile toute l’intrigue. Le film sort dans cette version aux Etats-Unis et il est un échec commercial. Pour la version qui sort en Europe, Polanski a obtenu le final cut et le film est un succès.

A première vue le film ressemble à une vaste cour de récréation pour enfant gâté. Ce n’est pas forcément un reproche : pour Polanski et son scénariste Gérard Brach le cinéma est d’abord un plaisir enfantin et c’est l’envie de jouer à se faire peur qui était à l’origine du projet lorsque les deux complices commencèrent à rêver au film. Polanski et Brach prennent pour cible les productions horrifiques de la Hammer, qui terrifiaient le public populaire des années 60, mais ne déclenchaient chez les deux hommes que ricanements d’incrédulité. Roman Polanski se moque des films de vampires dans une comédie dont l’humour vire souvent au sarcasme. Donc Le Bal des vampires n’est pas, au final, et au même titre que les conte de fées, un film enfantin. Certains gags sont demeurés justement célèbres (le vampire homosexuel, le vampire juif qui n’a pas peur de la croix), et le cinéaste affiche un talent incontestable pour l’absurde et la cruauté. Le vampire est un mythe sexuel et Le Bal des vampires explicite sur un mode grotesque l’écart entre la puissance souveraine des créatures de la nuit et l’impuissance gesticulatoire des pauvres humains. Alfred, homme enfant maladroit et naïf, est comme son maître un grand obsessionnel, mais ce sont les femmes qui l’intéressent, pas les vampires. On le devine aussi vierge de son expérience avec les vampires qu’avec la gent féminine. Dans l’auberge où ils échouent après un voyage éprouvant, les deux hommes vont être confrontés directement aux objets de leurs fantasmes.

Sharon Tate et Roman Polanski

Sharon Tate et Roman Polanski

La réussite du Bal des vampires doit beaucoup à sa direction artistique. Polanski part du principe qu’un sujet fantastique doit être traité de la façon la plus sérieuse possible, et accorde un soin maniaque au moindre détail visuel.

L’extrême attention aux décors et aux costumes qui alternent tons froids (la neige, les visages cadavériques des vampires, le château) et tons chauds (la peau blanche d’une jeune femme, le sang, le rouge de la cape du comte Krolock, de la robe de l’héroïne et du nœud de cravate d’Alfred) fait baigner le film dans une atmosphère onirique trouée de détails ultra réalistes et de saillies humoristiques. C’est dans ce savant mélange de rêverie et de prosaïsme que le cinéaste invente ce style qui n’appartient qu’à lui.

« Le spectateur doit croire à l’histoire qu’on lui raconte et pour cela chaque film doit être inscrit dans son lieu exact, son folklore, sa culture. (…) Cette Transylvanie imaginaire a été fabriquée avec mes souvenirs de Pologne, vrais souvenirs d’enfance ou souvenirs d’école, de livres que j’avais lus. » (Roman Polanski). Pas de référence directe à Chagall mais clin d’œil à travers le nom de l’aubergiste, orthographié Shagal, à l’américaine.

Plutôt que de moderniser leur histoire Brach et Polanski jouent avec le folklore d’Europe de l’Est qui entoure les légendes vampiriques. La photographie, les costumes et les décors – une grande partie du film est tournée en studio et ne le cache pas – sont remarquables. Polanski estime qu’une parodie a elle aussi le droit d’être visuellement superbe. Alors que les films de genre de l’époque devaient se contenter de budgets rachitiques et de bouts de décors, Polanski hérite de moyens dignes d’un « James Bond », et bénéficie du talent des meilleurs techniciens. Les adaptations de « Dracula » signées Terence Fisher, plus poétiques et moins ambitieuses – en apparence – que le film de Polanski, avaient le mérite de traiter leurs arguments fantastiques sans ironie. Le Bal des vampires peut être vu comme une blague potache – à l’instar des autres comédies de Polanski, Quoi ? ou Pirates qui ne bénéficient pas de la même réputation que ses drames. On peut aussi penser que l’angoisse existentielle d’un cinéaste obsédé par le Mal et la corruption trouve dans un récit de vampirisation et de contamination une illustration parfaite de sa vision du monde. Les films de Polanski finissent généralement très mal, et Le Bal des vampires malgré son humour ne déroge pas à la règle. L’idée selon laquelle l’amour et les meilleures intentions du monde ont toujours provoqué des catastrophes et des désastres trouve ici une illustration parfaite, typique de la philosophie du cinéaste, dénué d’illusions mais traversé par un rire moqueur. Polanski aime provoquer chez le spectateur des émotions contradictoires.

Cohabitent, chez Polanski le lyrisme le plus raffiné et le comique le plus élémentaire. La grimace est une expression comique mais aussi la trace d’une terreur profonde. Ce mélange de légèreté et de gravité se retrouve ainsi dans le burlesque des corps masculins (Abronsius, Shagal, Alfred), ridicules, difformes ou encore coincés dans l’adolescence à la différence de la jeune fille interprétée par Sharon Tate, sensuelle et gracieuse qui apparaît pour la première fois nue dans son bain, objet de désir voyeuriste et de frustration. La mort qui plane sur tout le film, y compris, rétrospectivement, avec l’assassinat de Sharon Tate deux ans après la sortie du Bal des vampires qui reste à jamais une jeune femme sacrifiée, fauchée trop tôt par la mort dans toute la plénitude de sa beauté. Mélancolie. Constat désespéré du film : la mort a gagné.

(texte écrit avec la participation de Maud Ameline)

Roman Polanski et Sharon Tate dans la dernière scène du Bal des vampires

Roman Polanski et Sharon Tate dans la dernière scène du Bal des vampires

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Un commentaire

  1. derouet dit :

    Vous avez évoqué l’essentiel, il est dit que Polanski était passionné de fantastique et d’épouvante, d’ailleurs son film d’avant était le très angoissant Répulsion. On est là en présence d’un hommage assez irrévérencieux aux films de la Hammer avec Christopher Lee. » Parodier tous les aspects du genre, mais faire un film qui serait en même temps plein d’esprit, élégant et visuellement, agréable ». Polanski.

    Le point culminant est bien la formidable séquence du bal, et à la fin, pensant sauver l’héroïne, devenu entre-temps une séduisante créature de la nuit, et mordu par elle, il ira avec elle rependre dans le monde la malédiction vampirique ! Un gag excellent et très visuel est lorsque le héros poursuivi par le fils du comte dans les couloirs du château ne se rend pas compte qu’il revient au point de départ juste à côté de celui auquel il voulait échapper !

    Le film est d’une grande richesse plastique par ses décors et ses couleurs :

    Le film est tourné en Métrocolor proche du Technicolor qui permet d’obtenir une gamme chromatique violemment contraste tout en conservant un faible éclairage.
    Travail remarquable sur les décors, l’architecture du château est particulièrement réussi et inquiétante, bien plus remarquable que ceux de la Hammer. M’étant un peu intéressé à ce style de décors, il est certainement un des plus réussis des nombreux films vampiriques. Comme celui très réussi du décor très yiddish de l’auberge, une reconstruction exacte d’une d’Europe centrale.

    Mais ce sont aussi les tableaux de ce château qui sont impressionnants pour rendre ce lieu particulièrement inquiétant. En effet, le décorateur Fred Carter, c’est inspiré de nombreux artistes. Comme cette esquisse de Léonard De Vinci, et parmi la galerie de portraits accrochés aux murs, on peut voir un portrait anonyme de Richard III d’Angleterre, et notamment celui de la veille femme effrayante, qui serait une comtesse du Tyrol, Margarete Maultasch, ayant vécu au 14ᵉ siècle, parfois considéré comme l’un des plus laids du monde : « Vieille femme grotesque ou La Duchesse laide » peint vers 1513 par Quentin Massys. De même, dans l’entrée du château, on peut voir certains motifs provenant d’une fameuse peinture de Brueghel l’Ancien, le « Triomphe de la Mort ».

    Bref, une œuvre admirable, plastiquement, thématiquement réussi et surtout très drôle !

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