Olivier Père

Le Fils unique de Yasujirô Ozu

Carlotta a sorti mercredi un film inédit en France de Yasujirô Ozu, Le Fils unique (Hitori musuko, 1936), premier long métrage parlant du grand cinéaste japonais qui, à l’instar de Chaplin aux Etats-Unis, résista longtemps aux sirènes du cinéma sonore et attendit cinq ans après l’apparition des films parlants au Japon pour en tourner un. L’une des scènes les plus étonnantes du Fils unique montre d’ailleurs le fils emmener sa mère au cinéma pour lui faire découvrir les merveilles de cette nouvelle attraction. Le film est une opérette allemande, dont on voit de larges extraits. La vieille dame s’endort devant un spectacle sans grand intérêt pour elle, provocant la consternation polie de son fils.

Cette scène souligne l’ironie d’Ozu devant le cinéma parlant, mais lui permet surtout de montrer le fossé d’incompréhension et de gêne qui s’est creusé entre une mère courage qui a tout sacrifié à la réussite de son fils, et un jeune homme sans qualité qui ne peut que constater le naufrage précoce de ses ambitions.

Tout commence par un prologue provincial, lui même précédé d’une citation à la fin du générique qui dévoile le thème du film : le drame de la vie débute par les relations entre les enfants et les parents. Constat pessimiste et pourtant lucide qui sera au cœur du Fils unique, accompagné d’un regard implacable sur la condition ouvrière au Japon dans les années 30, et la pauvreté qui frappe les couches populaires du pays.

En 1923, dans la province de Shinshu, une veuve travaillant dans une fabrique de soie décide d’envoyer son fils unique à Tokyo afin qu’il puisse acquérir une meilleure éducation. Treize ans plus tard elle se décide enfin à lui rendre visite et réalise qu’il ne mène pas la vie qu’elle a rêvée pour lui. Le jeune homme est maître auxiliaire dans une école, et vit avec son épouse et leur bébé – dont il a caché l’existence à sa mère – dans un état proche de la misère, dans un quartier pauvre qui ressemble à un bidonville.

Film de la déception (d’une mère) et la honte (d’un fils), où ces sentiments violents sont longtemps retenus – une seule scène de dispute, d’autant plus terrible qu’elle éclate au milieu d’un océan de politesse et de bonté, comme toujours dans les films d’Ozu. Le monde tel qu’il est décrit par Ozu a beau être cruel et sans espoir, les hommes et les femmes qui l’habitent expriment une douceur, une solidarité et une gentillesse extraordinaires, même dans les moments les plus difficiles.

La mise en scène d’Ozu, avec ses fameux plans à hauteur de tatami, mais aussi des plans débarrassés de la figure humaine, comme des miniatures de paysages urbains qui jalonnent le récit comme des rimes musicales ou des « haïkus » visuels, est à la fois simple et sublime. Tout l’art d’Ozu est déjà présent dans ce chef-d’œuvre de jeunesse, poétique et politique. On pourra le vérifier bientôt puisque Carlotta ressortira aussi en salles Voyage à Tokyo et Le Goût du saké le 3 juillet.

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