Artus propose en DVD trois petits classiques du cinéma d’horreur britannique qu’on aime beaucoup (dans la collection « British Horror »), en vente depuis le 4 juin. Respectons l’ordre chronologique et commençons par Le Sang du vampire (Blood of the Vampire, 1958) d’Henry Cass.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film de vampire, mais le sang y joue un rôle essentiel. Un savant fou le docteur Callistratus a été exécuté. Il est ressuscité par son fidèle serviteur bossu et défiguré grâce à une greffe du cœur. Il peut ainsi poursuivre ses recherches scientifiques malpropres sur les déficiences sanguines en toute impunité dans un asile psychiatrique dont il a la charge, seul maître d’un univers concentrationnaire infernal, dont les infortunés prisonniers lui servent de cobayes.
Il s’agit d’un petit bijou vénéré par les amateurs comme un sommet de cinéma sadique et sadien. Le film est cruel et malsain, traversé d’images choquantes (un homme dévoré par les chiens, un autre ligoté et fouetté, un laboratoire sordide encombré de cadavres et d’organes) et on imagine sans peine les nausées et évanouissements provoqués à l’époque de sa sortie par un spectacle choc dépassant les bornes de la bienséance à la fin des puritaines années 50. Il faut dire que les productions anglaises étaient bien plus dévergondés que les films français pour lesquels les sommets de l’audace consistaient à montrer à la sauvette des bouts de sein de nos starlettes nationales.
Il y a aussi dans Le Sang du vampire des scènes plus coquines et sadomasochistes (des figurantes peu farouches à moitié dépoitraillées, enchaînées et martyrisées par un bossu libidineux) qui n’échappèrent pas aux ciseaux de la censure avant d’être miraculeusement réintégrées au montage dans ce DVD après avoir fait fantasmer deux ou trois générations de cinéphiles pervers.
Le Sang du vampire de Henry Cass et Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher ont été tournés presque simultanément et les deux films sont sortis en Grande Bretagne à deux mois d’intervalle, au cours de l’été de la même. Ils partagent le même scénariste Jimmy Sangster déjà responsable des deux premiers Frankenstein de la Hammer et qui deviendra un stakhanoviste du fantastique et du thriller au cours des décennies suivantes. Ce sont donc les deux bornes opposées d’une période passionnante. Comme l’a remarqué Jean-Marie Sabatier dans son livre de référence « Les Classiques du cinéma fantastique » (Balland, 1973, épuisé), l’un est un ultime récapitulatif de l’âge d’or du serial avec ses péripéties sadiques et feuilletonnesques (Le Sang du vampire), l’autre une ouverture vers une approche moderne et foncièrement novatrice du genre fantastique. « Démesuré et génial, le film d’Henry Cass résonne comme un dernier adieu aux chers ingrédients du film américain. La même année, en tournant Revenge of Frankenstein et Horror of Dracula, Fisher fondera un ordre nouveau. » (Jean-Marie Sabatier, ouvrage cité.)
Qui était Henry Cass ? Un tâcheron sans doute, dont le reste de la filmographie est tombé dans les oubliettes. « Quand le génie souffle sur une époque, il trouve certes de grands créateurs pour en exprimer la continuité, mais il ne manque pas d’honnêtes artisans pour le sentir passer et pour en adopter l’esprit. » (JMS)
La réussite du Sang du vampire incombe sans doute aussi à ses producteurs, Robert S. Baker et Monty Berman, également réalisateurs d’un excellent Jack l’éventreur et qui se distingueront de leur concurrent Hammer en allant encore plus loin dans le sadisme et la trivialité, s’hésitant pas à rajouter des détails sadiques et érotiques à des films aux arguments scabreux, mais souvent de grande qualité (L’Impasse aux violences de John Gilling.)
Les deux autres titres de la collection Artus sont La Nuit des maléfices (The Blood on Satan’s Claw, 1971) de Piers Haggard et La Griffe de Frankenstein (Horror Hospital, 1973) d’Antony Balch (photo en tête de texte.)
De tous les grands films fantastiques anglais, La Nuit des maléfices est sans doute le plus méconnu et le plus sous-estimé. Il n’a jamais bénéficié d’une réévaluation critique au contraire de nombreux films de la Hammer (La Nuit des maléfices est produit par la Tigon, compagnie beaucoup moins prestigieuse) et il n’a même jamais atteint le statut de classique secret. Pourtant, tous les amateurs qui l’ont vu s’accordent dire – à raison – qu’il s’agit d’un film extraordinaire, l’un des meilleurs jamais consacré à la sorcellerie, et qu’il est capable de rivaliser avec d’autres titres plus fameux comme Le Grand Inquisiteur de Michael Reeves, La Marque du diable de Michael Armstrong ou The Wicker Man de Robin Hardy réalisés autour de la même période. La façon dont Piers Haggard filme cette enquête sur un cas de sorcellerie dans la campagne anglaise du XVIIème siècle est surprenante de modernité. Les rites païens et sanguinaires mis en scène dans La Nuit des maléfices, et impliquant des enfants et des adolescents (parmi lesquels une perverse et juvénile Linda Hayden en maîtresse de cérémonie satanique) permettent d’évoquer le récent Kill List de Ben Weathley et son atmosphère cauchemardesque. La Nuit des maléfices comporte de nombreuses scènes marquantes et laisse une impression durable, à l’image de cette séquence finale constituée d’arrêts sur image et de ralentis bizarres.
Deux ans plus tard le cinéma d’horreur britannique nous offre ce qui restera sans doute comme son titre le plus malade et dégénéré, à peine excusé par ses intentions comiques. La Griffe de Frankenstein (Horror Hospital, 1973) est un cas à part dans le cinéma d’exploitation anglais puisqu’il mélange des éléments parodiques, gore et érotiques et d’autres hérités de la culture underground. Son réalisateur Antony Balch était un effet un ami de William Burroughs avec lequel il réalisa ses premiers courts métrages, avant de sonoriser une version de La Sorcellerie à travers les âges avec la participation de l’écrivain américain. La Griffe de Frankenstein se caractérise par un mauvais goût outrancier, mixture improbable entre les bandes dessinées pour adultes, Orange mécanique, les sexy comédies anglaises, Lâchez les monstres de Gordon Hessler et L’Abominable Docteur Phibes de Robert Fuest. Un jeune rocker londonien débarque dans une étrange clinique de repos isolée où un médecin fou transforme des hippies en zombies lobotomisés. Le docteur Storm, un ancien nazi en fauteuil roulant, est interprété par Michael Gough, acteur à la longue filmographie qui fréquenta régulièrement la série B horrifique. Il livre ici une composition déchaînée, sans retenue dans la cruauté. Il y a aussi le cabotin Dennis Price en rabatteur homosexuel, un serviteur nain souffre-douleur, des sbires motards en combinaison de cuir et une limousine avec une lame qui décapite les fuyards. Nombreuses allusions salaces, toutes tendances sexuelles confondues, beaucoup de sang et pas mal de nudité. Une réjouissante anomalie, il faut la voir pour y croire…
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