Olivier Père

L’Etrangleur de Boston de Richard Fleischer

Carlotta sort L’Etrangleur de Boston (The Boston Strangler, 1968) dans une belle édition Blu-ray et DVD le 17 avril.

Ce film célèbre et célébré – à juste titre – du grand Richard Fleischer compte parmi les classiques du cinéma criminel américain, original et audacieux dans son traitement d’un cas réel de tueur en série, Albert de Salvo, qui assassina treize femmes entre 1962 et 1964 à Boston. Fleischer opte pour une approche semi documentaire. La première partie du film suit les investigations minutieuses de la police qui ne parviennent pas à enrayer l’accumulation effrayante de meurtres de femmes agressées, violées et étranglées chez elles (d’abord des personnes âgées, puis des victimes de tous les âges et conditions.) L’Etrangleur de Boston opère la transition entre certains films d’Otto Preminger par sa façon d’aborder sans compromission un sujet adulte et dérangeant (l’enquête dans un bar homosexuel rappelle une scène de Tempête à Washington) et les thrillers à venir de William Friedkin qui souhaita avant Fleischer porter à l’écran l’affaire de Salvo et se souviendra sans aucun doute de L’Etrangleur de Boston en réalisant Cruising.

Au début du film Fleischer souligne le caractère choquant des meurtres par des détails sordides (un manche à balai entre les jambes d’un cadavre). N’oublions pas que Boston est une ville conservatrice et religieuse marquée par ses racines puritaine et que cette série de crimes est contemporaine de la crise économique, sociale et urbaine qu’elle subit dans les années 60. Une crise morale aussi semble dire Fleischer. L’enquête de la police permet de gratter le vernis d’hypocrisie de la bourgeoise Boston et de fouiller parmi les vices, névroses et perversions cachées des citoyens de la ville.

Tony Curtis dans L'Etrangleur de Boston

Tony Curtis dans L’Etrangleur de Boston

Ce n’est qu’après une heure de film qu’apparaît pour la première fois le meurtrier. Il est dans son salon, avec sa famille, en train de regarder en pleurant les funérailles de John F. Kennedy à la télévision, comme tout le monde ce jour-là. Cette scène extraordinaire permet de contextualiser le film dans une période où la violence et les médias prennent une importance de plus en plus grande dans la vie des Américains. C’est également ainsi que Fleischer choisit d’introduire le personnage de l’étrangleur : un type ordinaire, un travailleur d’origine modeste et un banal père de famille souffrant de schizophrénie. Il est victime de pulsions meurtrières et tue dans un état second, sans garder de souvenir de ses actes.

On a beaucoup glosé sur l’utilisation virtuose du « split screen » dans le film. Fleischer déclara : « ce projet me plaisait énormément de par son défi technique que je m’imposais, à la suite de ma visite de L’Exposition Universelle de Montréal en 1967. C’est en voyant les exhibitions d’écrans multiples que je réalisais le potentiel de cette technique pour le cinéma. »

Ces effets modernistes un peu tape-à-l’œil ont paradoxalement tendance à dater le film, tandis que L’Etrangleur de Boston reste moderne et fascinant grâce à son style réaliste puis à sa plongée dans les tréfonds d’un esprit malade. On s’approche alors d’un pur cinéma mental et devant les dernières scènes montrant l’interrogatoire de de Salvo vêtu de blanc dans une cellule entièrement blanche je ne peux m’empêcher de penser à un autre grand « film cerveau » sorti la même année : 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

Tout le monde l’a dit mais il faut le répéter : dans le rôle à contre-emploi de de Salvo Tony Curtis est prodigieux, et confirme qu’il était un acteur sous-estimé qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait, même si on oublie trop souvent qu’il a joué dans plusieurs grands films et pas seulement des comédies (Le Grand Chantage, par exemple).

Ce classique de Fleischer nous rappelle que le cinéaste étudia la psychiatrie et qu’il donna le meilleur de lui-même dans ses études de cas criminels : avant L’Etrangleur de Boston il y avait La Fille sur la balançoire (The Girl in the Red Velvet Swing, 1955) et après, le génial, expérimental et encore plus glaçant L’Etrangleur de la place Rillington (Ten Rillington Place, 1971).

 

 

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