Olivier Père

Berlinale 2013 Day 1 : The Grandmaster de Wong Kar Wai (film d’ouverture, hors compétition)

C’est finalement à Berlin en ouverture du Festival que Wong Kar Wai (qui est également président du jury de la compétition officielle) a dévoilé son nouveau film (déjà sorti en Chine depuis janvier) au public occidental. Après de nombreux retards sur les délais de fabrication et de livraison, habituels chez le cinéaste, sans compter la rumeur, elle aussi habituelle, d’un montage non définitif qui précéderait une version différente, plus longue et plus conforme à ses souhaits, The Grandmaster (Yut doi jung si) a dispensé ses splendeurs devant les spectateurs de la Berlinale.

un petit air de Matrix dans le premier combat de The Grandmaster

un petit air de Matrix dans le premier combat de The Grandmaster

Le film évoque la vie de Yip Man, figure légendaire du Kung fu (plus précisément l’école de l’art martial « wing chun »), d’abord à Foshan ville du Sud-est de la Chine dans les années 30, jusqu’à son installation à Hong Kong dans les années 50 où il continuera d’enseigner à de nombreux élèves, et notamment Bruce Lee. Entre temps, Yip Man aura connu la gloire et la misère, vaincu ses nombreux adversaires à mains nues, aimé passionnément une femme et souffert de voir son pays envahi par l’armée japonaise, responsable de sa déchéance et de la mort de ses enfants.
Le film étourdit par sa beauté, notamment lors de combats en apesanteur filmés comme des scènes d’amour. L’espace et les mots nous manquent pour clamer à quel point Zhang Ziyi et Tony Leung sont bouleversants de beauté, alliant perfection photogénique et émotion. Chaque plan, chaque mouvement de caméra joue sur diverses variations de vitesse (accélérations et ralentis) avec une composition raffinée capable de marier le calligraphisme chinois (tendance King Hu) et les prouesses acrobatiques des chorégraphies brutales et survoltées de Yuen Woo-ping (tendance Tsui Hark et ses émules technoïdes.) On pourrait parler de caméra pinceau, et bravo au directeur de la photographie français Philippe Le Sourd qui sort vainqueur d’une aventure de tournage qu’on imagine épique. La recherche impossible de l’harmonie et de l’équilibre, dans un pays divisé et plongé dans le chaos de l’Histoire, The Grandmaster ne parle que de cela, et la trajectoire personnelle de Yip Man devient le symbole de ce conflit entre la tradition et la modernité, le souci de vivre selon un code d’honneur sans cesse malmené par la trahison et la violence du monde. Ce qui vaut pour la Chine vaut aussi pour le cinéma de Wong Kar Wai, qui semble ici trouver un accomplissement formel, aussi majestueux dans les scènes d’action spectaculaires que la sensation visuelle pure et le mélodrame. Les béances et les raccourcis, les ellipses qui traversent un récit aléatoire et déconstruit permettent de rêver à une fresque volontairement morcelée et dont le cinéaste pourrait un jour proposer la globalité avec un ou plusieurs autres (très) longs métrages.
Wong Kar Fai a présenté son film sur scène en disant qu’il aurait pu s’appeler « Il était une fois le kung-fu ». Citation leonienne explicitée vers la fin du film, très mélancolique, où le cinéaste utilise la musique d’Ennio Morricone composée pour Il était une fois en Amérique, autre film sur la vie rêvée d’un homme et l’histoire d’un amour malheureux. Après Tarantino en ce début d’année, c’est au tour de Wong Kar Wai d’utiliser un extrait de bande originale préexistante pour expliciter une référence et susciter une émotion particulière, provoquée à la fois par l’histoire de son film et les souvenirs cinéphiliques des spectateurs. Tarantino en a fait depuis Boulevard de la mort une figure de style récurrente et un système poétique unique en son genre, Wong Kar Wai applique plutôt le principe qui était celui de Scorsese dans Casino, qui reprenait de manière inattendue la musique composée par Georges Delerue dans Le Mépris (le thème de Camille) : télescoper deux époques, deux continents deux films pour montrer que les grands cinéastes modernes ou postmodernes (Godard, Leone, Scorsese, Wong Kar Wai) se retrouvent malgré leur différences de culture pour évoquer l’un des seuls sujets qui vaille la peine de faire de films : la fascination, l’incompréhension ou la perte des femmes aimées.

The Grandmaster sortira en France le 17 avril.

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