Olivier Père

Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki

Le Château dans le ciel (Tenku no shiro Rapyuta) de Hayao Miyazaki date de 1986 mais il est sorti en France en janvier 2003, au bénéfice du succès de Princesse Mononoke et du Voyage de Chihiro. Mieux vaut tard que jamais, puisque c’est une merveille. Miyazaki, aidé de ses habituels complices, le compositeur Joe Hisaishi et le producteur réalisateur Isao Takahata, parvenait dès ce premier long métrage sorti des studios Ghibli à signer un film d’animation qui soit aussi une œuvre d’art, de la poésie en prose, et surtout du grand cinéma, tous genres confondus.

Le Château dans le ciel n’est pas une simple chasse au trésor, prétexte à une débauche d’épisodes mouvementés ou comiques. C’est avant tout l’histoire d’un double legs et un roman d’apprentissage. Une jeune fille seule au monde et tombée du ciel a hérité d’un médaillon aux pouvoirs magiques. Un garçon pauvre a hérité du rêve de feu son père : découvrir Laputa, la mythique cité céleste, sorte d’Atlantide dans les nuages que son paternel a pu un jour photographier d’un avion. Évidemment, les deux orphelins se rencontrent et mettent leurs efforts en commun. Cette quête se double d’un conte sur le thème « deviens qui tu es ». La petite fille nommée Cita se révèlera être Lacita, la dernière descendante de l’aristocratie laputienne (ses airs de princesse le laissaient prévoir) et le valeureux petit Pazu, ouvrier dans une mine, deviendra comme son père un aventurier des airs (note biographique : le père de Miyazaki était aviateur).

Aboutissement de l’art miyazakien première période, Le Château dans le ciel puise son décor dans la culture occidentale. Les machines volantes évoquent Jules Verne, les ouvriers Dickens, les espions et les pirates Maurice Leblanc (Miyazaki a adapté Arsène Lupin pour la télévision), et bien sûr Swift : Laputa est l’une des destinations de Gulliver dans ses voyages au Japon. Mais Le Château dans le ciel reste une œuvre profondément originale, qui obéit à ses propres règles davantage qu’à de lointaines origines littéraires. Princesse Mononoke et surtout Le Voyage de Chihiro constitueront pour Miyazaki un repli délibéré vers une inspiration exclusivement japonaise et une invitation à la redécouverte du patrimoine des légendes nippones. Dans Le Château dans le ciel, les accessoires de l’imaginaire futuriste de la Belle Époque ne sont pas utilisés dans les mêmes desseins que chez nos romanciers visionnaires. On ne constate aucune fascination amusée pour l’arsenal guerrier ou scientifique chez Miyazaki, contrairement à bon nombre de ses confrères de la « japanimation ». Le cinéaste dessinateur croit à la lutte des classes et s’autorise une nostalgie élégiaque pour les civilisations éteintes. Laputa symbolise avant tout l’utopie d’un monde meilleur, et Miyazaki dessine un film vertical (la plongée vertigineuse du début) dans lequel la recherche du bonheur dans le ciel se révèle illusoire. Le film autorise une lecture marxiste – le cinéma de Myazaki se contentera bientôt d’illustrer un message écologiste. Alliant vitesse, beauté et intelligence, Le Château dans le ciel, on l’aura compris, n’est pas qu’un joli dessin animé japonais destiné aux enfants petits et grands.

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