Auteur d’une série de remarquables courts métrages au début des années 50 (Le Sang des bêtes, impressionnant poème visuel sur les abattoirs de la Villette et Hôtel des Invalides sont des classiques du genre), Georges Franju passa au long métrage avec le très beau La Tête contre les murs en 1959, adaptation d’un roman d’Hervé Bazin que Jean-Pierre Mocky devait à l’origine mettre en scène (il se contentera d’en interpréter le rôle principal). L’année suivante Franju signera son meilleur film avec Les Yeux sans visage, avant de poursuivre une carrière déclinante (il faut sauver Judex, hommage à Feuillade et aux feuilletons du cinéma muet), marquée par les échecs, l’incompréhension d’une partie du public et de la critique et l’alcoolisme de son auteur, dont les influences (le serial français, le surréalisme littéraire, le réalisme poétique) furent toujours en contradiction avec son époque, lui qui était un contemporain du cinéma moderne puis de la Nouvelle Vague. Franju meurt en 1987 à l’âge de 75 ans.
Qu’on la juge décevante, géniale, inclassable ou au contraire minée par l’académisme, l’œuvre de Georges Franju met tout le monde d’accord lorsqu’il s’agit d’évoquer Les Yeux sans visage, film sans égal diamant noir de l’histoire du cinéma français, dont le pouvoir de fascination est demeuré intact.
Un chirurgien kidnappe des jeunes femmes afin de greffer la peau de leur visage sur celui de sa fille, défigurée dans un accident. Sa folie meurtrière le conduira à sa perte. Les Yeux sans visage compte parmi les rares incursions géniales, du moins marquantes, du cinéma français dans le registre du fantastique, et plus précisément de l’épouvante. Le film est contemporain des séries B européennes qui ont illustré des sujets proches (les contes gothiques de Freda, Bava et Ferroni en Italie, les productions de la Hammer en Grande-Bretagne, L’Horrible docteur Orlof de Jess Franco en Espagne). Mais le chef-d’œuvre de Franju se distingue de ces titres d’excellente qualité. Le cinéaste ne cachait pas son aversion pour le cinéma fantastique traditionnel ou ses nouvelles déclinaisons référentielles. Artiste solitaire, pessimiste et obsessionnel, Franju se réclame d’un courant onirique dont il serait le seul représentant, héritier du réalisme poétique d’avant-guerre mais aussi du surréalisme. La froideur descriptive des scènes d’opération, cauchemardesques, le jeu atone des comédiens (même Pierre Brasseur fait preuve d’une violence intériorisée), la tristesse inexpressive du masque que porte la frêle Edith Scob, la précision glaçante de la mise en scène et de la photographie en noir et blanc débouchent sur une vision désespérée de l’humanité. Seule surnage la pureté souillée d’une jeune fille privée de visage, entourée d’animaux bienveillants, résidu d’innocence dans un monde atroce.
Le film sera projeté le lundi 16 avril à 20h30 à la Cinémathèque française, dans le cadre d’une journée dédiée à Georges Franju, cofondateur de la Cinémathèque.
Laisser un commentaire