Akira Kurosawa (1910-1998) a réalisé deux films remarquables après Rêves, Rhapsodie en août et Madadayo. Pourtant, il est possible de considérer cette anthologie onirique comme le testament artistique, esthétique et moral du grand cinéaste.
Dans Kagemusha et Ran, Kurosawa s’était réfugié dans des évocations splendides et crépusculaires du temps des samouraïs pour composer des œuvres à la beauté sidérante. Ces chefs-d’œuvre imposants ont sans doute inspiré à Kurosawa un retour à une matière beaucoup plus personnelle et intimiste, tout en conservant un caractère visionnaire et pictural. Pour la première fois de sa carrière, Kurosawa s’autorise à parler de lui-même, par l’intermédiaire de huit rêves qu’il a fait au cours de sa vie. Ce sera le film Rêves (Dreams/Yume), réalisé en 1990 (avec la collaboration d’Ishiro Honda, spécialiste des effets spéciaux) et coproduit par Steven Spielberg (pour la version internationale). On y retrouve Kurosawa à différents âges de sa vie, interprété par des comédiens différents. Akira Kurosawa a déclaré « Quand il rêve, l’homme est un génie. Il est audacieux et intrépide comme un génie. Voilà ce a quoi je me suis attache au moment de filmer ces huit rêves. Pour faire un film de ce scénario, il était indispensable de s’exprimer avec audace et sans peur… comme dans un rêve. »
Les deux premiers rêves, « Soleil sous la pluie » et « Le Verger aux pêchers », montrent le narrateur enfant observateur des mystères de la nature et de ses habitants magiques. « La Tempête de neige » réaffirme la puissance fantastique des éléments naturels. « Le Tunnel » voit ressurgir les fantômes des soldats sacrifiés au combat et toute la culpabilité et le traumatisme du peuple japonais au sortir de la Seconde Guerre mondiale. « Les Corbeaux » est une profession de foi sur la création artistique dans laquelle Kurosawa convoque Vincent Van Gogh, qui prend les traits inattendus du réalisateur Martin Scorsese. « Le Mont Fuji en rouge » et « les Démons gémissants » sont des fables apocalyptiques sur un monde dévasté par des catastrophes écologiques où les derniers hommes sont réduits à l’état de créatures monstrueuses. « Le Village des moulins à eau » conclut le film sur une note optimiste. Le narrateur visite un petit coin de la campagne japonaise, entièrement préservé du progrès et des inventions modernes, où les paysans vivent de joies simples au rythme des saisons. La nature joue un rôle important dans tous les rêves. Kurosawa déplore son saccage par l’homme et certains rêves sont des avertissements contre la pollution et le danger nucléaire. Impossible de ne pas penser à la récente catastrophe de Fukushima devant ces images de désastre et le cauchemar d’une histoire vouée à se répéter après Hiroshima et Nagasaki (Kurosawa consacrera son film suivant, Rhapsodie en août, au souvenir du bombardement de la ville de Nagasaki.) Au-delà du message écologique, Rêves, à la manière des derniers films de Jean Renoir, est un manifeste panthéiste et un appel à la sagesse et à la communion avec les éléments naturels, contre la violence et l’absurdité du monde moderne.
Rêves de Akira Kurosawa
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