Olivier Père

Les Quatre Plumes blanches de Zoltan Korda

Dans ce feuilleton des exhumations cinéphiliques, la (re)découverte des Quatre Plumes blanches (édité dans un très beau DVD / Blu-ray chez Criterion) constitue une véritable révélation pour tous ceux qui dédaignent habituellement le cinéma britannique. Ils ne devraient pas tarder à être de moins en moins nombreux, si l’on ajoute à cela la parution en DVD de la première période de l’œuvre de David Lean chez Carlotta, des films d’Alan Clarke chez Potemkine et les reprises en copies neuves de Si Paris l’avait su de Terence Fischer et du Voleur de Bagdad de Powell-Berger-Whelan-Korda (nous essaierons de parler de toutes ces merveilles dans de prochaines rubriques.)

Le producteur réalisateur Alexander Korda, d’origine hongroise, réalisa ses premiers films dans son pays natal, puis après un passage par l’Allemagne, l’Autriche, Hollywood et la France (le beau Marius d’après Marcel Pagnol), s’installa définitivement en Grande-Bretagne, où il fonde en 1931 la London Films production. À la tâte de ce vaste empire cinématographique, Korda va produire et souvent réaliser – lorsque ce ne sont pas de grands cinéastes internationaux ou son propre frère Zoltan qui s’en chargent – jusqu’ en 1955 des films à prestiges, le plus souvent historiques, adaptation littéraires ou biographies de personnages de l’histoire d’Angleterre et régner sans partage sur le cinéma anglais d’avant-guerre, récoltant les louanges de la critique et l’accueil triomphal du public. Alors qu’on est tenté de bailler devant ce cinéma ouvertement officiel est dénoncer l’académisme pompeux de reconstitutions maniaques et rigides, qui récoltèrent le mépris ou l’indifférence d’une grande partie de la critique française (les mots cinéma et anglais sont antinomiques écrivit un jour Truffaut, de manière très injuste), on a la merveilleuse surprise de découvrir avec Les Quatre Plumes blanches un chef-d’œuvre qui nous donnerait envie de revoir et réévaluer tout Korda, même si les miracles n’ont lieu qu’un fois, au risque de bouleverser nos convictions les plus intimes sur tout un pan de l’histoire du cinéma. Les Quatre Plumes blanches est la quatrième adaptation d’un célèbre roman de A.E.W. Mason. En 1895, l’empire britannique décide d’envoyer ses troupes au Soudan afin de laver l’affront de la défaite de Karthoun infligé par les derviches dix ans auparavant. Un jeune officier, bouleversé par la peur d’être un lâche, démissionne. Ses trois compagnons d’arme lui envoient alors trois plumes blanches, un symbole traditionnel de lâcheté. Il y rajoute une plume de l’éventail de sa fiancée, qui lui reproche sa décision, puis disparaît. Obsédé par le désir de se racheter aux yeux de ses amis, Harry va rejoindre incognito le Soudan où, déguisé en Arabe, il sauvera la vie de ses trois amis – il aidera l’un d’eux, devenu aveugle à la suite d’une insolation, à traverser le désert après le massacre de sa compagnie – sans jamais leur révéler sa véritable identité.

Avouons-le, c’est une histoire magnifique, et on a du mal à retenir ses larmes à la fin du film. La version intégrale nous offre un prologue jamais vu où l’on découvre l’origine de la répulsion de la guerre du jeune Harry : à l’annonce de la défaite de Gordon à Karthoun, une assemblée de vieux aristocrates évoquent complaisamment en présence de l’enfant terrifiée leurs souvenirs – aussi cruels que falsifiés – de vétérans de Crimée. Cette scène éclaire d’un lumière nouvelle un œuvre dont on a souvent souligné le patriotisme et de le colonialisme naïfs sans en percevoir les relents d’inquiétude. Le film distingue l’héroïsme individuel d’un homme ordinaire, qui commet des actes de bravoure pour des motifs infiniment nobles (l’amitié, l’amour désintéressé) tandis que le film souligne à plusieurs reprise le caractère revanchard de l’opération au Soudan, qui envoie à la boucherie de jeunes recrues pour venger l’honneur de quelques vieux stratèges. Bénéficiant d’une mise en scène grandiose, tournée sur les lieux même de l’histoire avec moult figurants, avec les somptueuses couleurs d’un Technicolor flamboyant, ces quatre plumes possèdent le panache des films de Walsh, la gravité intime des plus beaux Ford.

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