Olivier Père

Locarno 2011 Day 8 : Le Havre de Aki Kaurismäki

Aki Kaurismäki est un cinéaste talentueux et profondément honnête apparu dans les années 80. Le Festival del film Locarno lui a rendu hommage en 2006, avec la projection de l’intégrale de ses films, en sa présence, et la publication d’un formidable livre d’entretiens avec Peter von Bagh, avec Les Cahiers du Cinéma. Ouvrage de référence, magnifiquement illustré, que tout cinéphile doit posséder dans sa bibliothèque : profitons-en pour saluer la mémoire de Claudine Paquot, directrice des éditions des Cahiers du Cinéma qui nous a quittée le 22 juin. La rétrospective Vincente Minnelli à Locarno lui est dédiée cette année. Ceux qui ont mal vu les films de Kaurismäki ont parfois critiqué une filmographie inégale, des titres mineurs ou trop parodiques (comme la saga des Leningrad Cowboys)… Mais l’on sait depuis Fassbinder que la somme de films imparfaits peut produire une œuvre importante. On ne saurait non plus réduire le travail de Kaurismäki à un petit commerce postmoderne où se mêlerait folklore populiste, musique rockabilly (bienvenue à Little Bob qui chante dans Le Havre !), citations cinéphiliques et humour éthylique. Sous sa modestie de façade et son autodérision, Aki Kaurismäki est un styliste capable de mettre en scène avec une formidable économie de moyens, en noir et blanc ou en couleur, des films à l’impressionnante beauté plastique. Le soin maniaque apporté au cadre et à la lumière, la rigueur de chaque plan, la précision et la subtilité des dialogues contredisent la désinvolture apparente du cinéaste et sa réputation de farceur. Kaurismäki vénère le cinéma muet, Chaplin, Ozu, Bresson, Dreyer, De Sica, Becker, Melville. Conscient d’arriver un peu tard dans l’histoire du cinéma, il préfère se contenter de mettre en scène des bons films plutôt que d’impossibles chefs-d’œuvre. Né en 1957, Aki est avec son frère Mika le seul cinéaste finlandais contemporain répertorié. Au-delà de l’exotisme finnois son cinéma devient vite le chantre des asociaux, des prolétaires, des habitants des faubourgs, avec des films poétiques qui allient lutte des classes, culture populaire, humour noir, scepticisme inquiet à l’encontre du monde moderne et un goût prononcé pour le mélodrame révolutionnaire. Kaurismäki débute sa carrière en 1983 avec un premier long métrage Crime et châtiment d’après Dostoïevski. Kaurismäki signera d’autres relectures personnelles de classiques de la littérature : Hamlet Goes Business, La Vie de bohème, Juha, magnifique proposition de cinéma muet moderne d’après un célèbre roman finlandais de Juhani Aho. En 1986 Shadows in Paradise, histoire d’amour entre un éboueur et une caissière et « plus grand film romantique de tous les temps » selon Kaurismäki impose le style du cinéaste et ouvre une « trilogie ouvrière » complétée par les admirables Ariel et La Fille aux allumettes. En 1990 Jean-Pierre Léaud, les fantômes de la nouvelle vague et du film noir croisent le chemin du cinéma Kaurismäki avec J’ai engagé un tueur. Après le très beau Tiens ton foulard, Tatiana (1994), Kaurismäki entreprend une nouvelle trilogie, celle des « marginaux », avec Au loin s’en vont les nuages (1995), une histoire de chômage où la radicalité esthétique et politique du cinéaste, mais aussi son sentimentalisme s’expriment avec un degré de perfection jamais atteint auparavant. Le Havre, son nouveau film, fut présenté en sélection officielle au Festival de Cannes cette année. C’est l’un de ses plus beaux, l’un de ses plus émouvants. Kaurismäki tourne pour la seconde fois en France et en français après La Vie de Bohême. Les dialogues, ciselés et élégants, sont au diapason d’un interprétation magnifique. Le Havre, ville hors du temps qui a gardé une patine rétro authentique, lui sied à merveille. Il retrouve ses vieux complices Kati Outinen, André Wilms et Jean-Pierre Léaud, et invite à les rejoindre Jean-Pierre Darroussin, excellent en policier solitaire. Le Havre parle d’immigration, de racisme, de solidarité et de résistance de manière presque intemporelle, mais le film trouve un écho dans l’actualité la plus brûlante et la société dans laquelle nous vivons. Comme Chaplin (le film est un hommage direct au Kid), Kaurismäki touche à l’universel et nous bouleverse grâce à une histoire simple mais essentielle, et réussit un petite merveille de cinéma humaniste qui devrait enchanter le public de la Piazza Grande ce soir, en présence de Kati Outinen et André Wilms, qui forment un couple merveilleux dans le film.

Catégories : Actualités · Coproductions

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