Olivier Père

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody Allen

 

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu

Depuis plusieurs décennies, Woody Allen livre un film tous les ans. Libre de toutes contraintes commerciales, Woody Allen est sans conteste un des rares cinéastes américains à avoir conquis très vite une totale indépendance artistique, grâce à une économie de production très saine, et à la fidélité du public et de la critique. L’exil européen et plus particulièrement londonien d’un auteur longtemps exclusivement confiné à l’île de Manhattan semble lui avoir offert depuis dix ans une seconde jeunesse, et lui avoir inspiré quelques films que je place parmi les meilleurs de sa filmographie : Match point, qui a été une véritable renaissance artistique et peut-être son chef-d’œuvre après un long passage à vide, Scoop, le sous-estimé Le Rêve de Cassandre et enfin Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, présenté hors compétition à Cannes en 2010 et qui est disponible en DVD et blu-ray en France depuis le 30 mars, chez Warner Home Video. L’occasion pour ceux qui ne l’ont pas vu en salles l’année dernière de le découvrir chez eux. Après avoir été trop adulé, Woody Allen semble être passé de mode. Ce film a été reçu avec un sentiment général de lassitude ou de déception, comme si Woody Allen était condamné à se répéter et à enchaîner les films plus ou moins drôles avec monotonie. Loin de vouloir défendre une œuvre mineure ou admirer systématiquement Woody Allen, il me semble au contraire que Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu révèle sous son apparente banalité formelle la grande maîtrise d’écriture de Woody Allen, et la richesse de son inspiration.

Comme de nombreux films d’Allen, Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu suit les destins croisés de plusieurs personnages et leurs mésaventures sentimentales et professionnelles. Très théâtral, servi par des acteurs remarquables (Naomi Watts en tête), le film est une variation autour des jeux de l’amour et du hasard. Une jeune femme insatisfaite dans sa vie conjugale et professionnelle, son mari un écrivain raté qui ne trouvera que l’imposture pour arriver au succès, son père un homme vieillissant qui s’entiche d’une prostituée cupide, sa mère une épouse abandonnée et aigrie qui a recours à la voyance, tels sont les caractères peu aimables de cette fable pessimiste.

Le film débute par la citation du Macbeth de Shakespeare : « l’histoire humaine est une fable racontée par un idiot pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ». Sans morale ni sens apparent, comme l’existence, ce film en toute logique n’a pas vraiment de fin. Il a l’étrange particularité de ne boucler (positivement) qu’un seul récit, une histoire d’amour qui nait au crépuscule de la vie, tandis qu’il laisse dans un doute atroce les trois autres personnages principaux, englués dans leurs échecs, leurs fautes et leur désespoir. Cette absence de conclusion rassurante est la marque d’une lucidité et peut-être d’une misanthropie qui rappelle Sacha Guitry, un autre grand cinéaste de la parole, ou plus proche de nous Another Year de Mike Leigh. C’est à la fois un paradoxe et une évidence de dire que Woody Allen a signé en 2010 la meilleure comédie et le film le plus triste de l’année.

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