Il n’y a pas que Belphégor qui hante le grand musée parisien. Depuis le 13 janvier et jusqu’au 28 mars le Louvre organise un cycle sur le thème des revenants, “images, figures et récits du retour des morts” avec une exposition, des conférences et des projections. Ces dernières offrent l’occasion de revoir quelques très beaux films de fantômes et de vampires, puisés dans l’histoire du cinéma fantastique, des origines à nos jours, accompagnés et éclairés par des interventions de philosophes ou d’historiens de l’art.
Le point culminant de cette manifestation fut la venue samedi dernier du cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa, pour une rencontre avec le public et une carte blanche. Kurosawa a réalisé de nombreuses séries B, films tournés pour la télévision ou le marché de la vidéo avant d’être reconnu comme un des auteurs majeurs du cinéma international (son dernier film en date, Tokyo Sonata, est une sorte de classique instantané.) Il contribua au renouveau du cinéma fantastique japonais dans les années 90 et 2000 avec des films comme Cure, Charisma, Kairo ou Séance. L’œuvre de Kurosawa n’est cependant pas inféodée à un genre en particulier, le cinéaste est plutôt connu pour son éclectisme. Kurosawa peut aussi bien réaliser des œuvres d’avant-garde en rupture évidente avec les codes narratifs classiques (Vaine illusion) que des vrais films fantastiques, sans pour cela abandonner son ambition et son talent évident de créateur de formes et d’expérimentateur.
Kiyoshi Kurosawa est cinéphile, passionné par le cinéma fantastique américain et européen, qu’il cite souvent comme des influences importantes pour son travail. Un excellent livre publié en France aux Editions Rouge Profond en 2008 lui permettait de s’exprimer sur des films d’horreur et d’épouvante qui avaient été de véritables chocs ou des révélations dans sa vie de spectateur et de cinéaste. Mon effroyable histoire du cinéma est constitué d’entretiens avec Makoto Shinozaki, critique et cinéaste. Les deux hommes se retrouvent sur leur amour pour le cinéma fantastique japonais mais surtout occidental. Kurosawa y évoquait avec beaucoup d’enthousiasme et d’intelligence sa relation personnelle avec les films de Richard Fleischer, Tobe Hooper, Wes Craven, John Carpenter, Larry Cohen… mais aussi avec des titres mineurs de la Hammer et de la Amicus, firmes anglaises spécialisées dans le fantastique ou des séries B ou Z des années 70 et 80 dont les admirateurs sont rares, La Nuit des vers géants par exemple.
Ceux qui connaissaient ce livre ne furent pas surpris par les choix de Kiyoshi Kurosawa pour sa carte blanche : le classique anglais Les Innocents de Jack Clayton, d’après Le Tour d’écrou d’Henry James, dont l’art de la suggestion inspira Kurosawa pour ses films de fantômes (et en particulier Séance, également projeté), Yotsuya Kaidan : Oiwa no borei de Kazuo Mori (1969), l’un des films fondateurs du cinéma nippon selon Kurosawa, et Le Moulin des supplices de Giorgio Ferroni, titre emblématique du fantastique européen admiré par les amateurs de cinéma bis.
En Hollande, un étudiant venu suivre l’enseignement d’un professeur de sculpture découvre que le vieux misanthrope habite dans un moulin réputé pour son carillon macabre composé de mannequins représentants des scènes de martyres. Le visiteur découvre l’existence secrète de sa fille, sorte de spectre nymphomane d’une stupéfiante beauté (Scilla Gabel, sœur en maléfice de Barbara Steele). Moins célèbre que Le Masque du démon de Mario Bava ou Les Vampires de Riccardo Freda, Le Moulin des supplices n’en est pas moins une réussite essentielle du fantastique gothique transalpin. Giorgio Ferroni parvient à installer une atmosphère inquiétante grâce à une utilisation remarquable des décors et surtout une photographie magnifique qui exalte les tons mordorés et cramoisis. Le thème de la régénération sanguine, les incessants va-et-vient entre la vie et la mort, le rêve et la réalité, la pâleur cadavérique et la flamme du désir charnel trouvent ici une illustration d’une vénéneuse splendeur plastique.
Le dernier volet de ce cycle, auquel on pourra assister à partir du 18 mars, s’intitule « survivances : figures contemporaines de la non-mort ». Réflexions sur l’époque moderne hantée par les images, ou sur le mort-vivant comme figure politique, plusieurs conférences (de Georges Didi-Huberman, Nicole Brenez, Philippe-Alain Michaud…) seront suivies de titres majeurs, mais parfois peu connus, du fantastique moderne qui comptent aussi parmi mes films de genre préférés.
Je suis une légende de Richard Matheson est un chef-d’œuvre de la littérature de science-fiction, publié en 1954 et adapté à plusieurs reprises au cinéma. Le romancier Richard Matheson (Journal d’un monstre, L’homme qui rétrécit, Le Jeune Homme, la mort et le temps) est un des fondateurs de la science-fiction américaine moderne. Matheson devint par la suite un scénariste très productif de la firme AIP, en adaptant notamment les nouvelles de Poe pour Corman. En Grande-Bretagne, il collabore au scénario de deux très bons films de sorcellerie : Night of the Eagle de Sidney Hayers et Les Vierges de Satan de Terence Fisher. Il écrivit également des romans policiers et des épisodes de The Twilight Zone, avant de participer à la réussite de Duel du débutant Spielberg. Je suis une légende est une modernisation du mythe du vampire. Le vampirisme n’y est plus appréhendé comme une malédiction mais comme une maladie contagieuse (un virus a transformé la population mondiale en monstres photophobiques assoiffés de sang), anticipant l’horreur génétique des premiers films de Cronenberg. Matheson se déclara insatisfait de The Last Man on Earth/L’ultimo uomo sulla terra, co-production American International Pictures avec l’Italie qui bénéficia d’une double version, italienne et américaine (et de deux réalisateurs, Ubaldo Ragona et Sidney Salkow.) Pourtant, tourné en noir et blanc avec un budget minimaliste dans la banlieue désertique de Rome et porté par l’interprétation géniale de Vincent Price, cette bande post-apocalyptique distille un climat d’angoisse dont Romero se souviendra lorsqu’il réalisera La Nuit des morts-vivants, sur un postulat d’ailleurs assez proche. Le film sera projeté le vendredi 18 mars à 20h30.
Le samedi 19 mars à 17h, Le Mort-vivant est à ne pas rater.
Contredisant l’annonce officielle de sa mort par l’armée, un jeune appelé rentre chez ses parents. Le bonheur de retrouvailles est de courte durée. Andy a bien été tué au Vietnam et s’est transformé en créature assoiffée de sang.
Délaissant la mythologie classique du non mort, Dead of Night (Le Mort vivant) de Bob Clark s’inscrit dans la tendance critique du nouveau cinéma fantastique des années 70, amorcée dès 1968 par La Nuit des morts-vivants de George A. Romero, jalon capital dans l’évolution d’un genre désormais voué à l’exploration des limites de la représentation cinématographique mais aussi à la contestation politique et à la satire sociale. Baignant dans une ambiance lugubre, peinture de l’ennui et des névroses provinciales, le film de Bob Clark étudie la condition de zombie comme un double symptôme. Symptôme de l’hystérie de la mère du jeune défunt qui refuse la mort de son fils au combat et provoque sa résurrection sous la forme d’un monstre affamé ; symptôme de la mauvaise conscience d’une nation qui envoie ses enfants se faire tuer au Vietnam et subit l’après-coup traumatique de leur retour. Le Canadien Bob Clark signe une réussite incontestable, dans un registre grave et dépressif (on songe à Martin de Romero ou aux premiers Cronenberg), un petit classique du film d’horreur politique, plus proche du dolorisme masochiste de l’autocritique que de la violence militante.
Le Jour des morts-vivants (Day of the Dead) réalisé par George A. Romero en 1985 est le troisième volet, après La Nuit des morts-vivants et Zombie, d’une saga horrifico-politique qui compte maintenant six titres. Les fans des scènes sanglantes qui firent la réputation de ce cinéaste trouvèrent à sa sortie le film trop bavard et sérieux. Ils avaient tort. Romero, grâce à qui le gore pense, filme une nouvelle fois un groupe assiégé : à la maison de La Nuit des morts-vivants et au centre commercial de Zombie succède un laboratoire militaire souterrain, propice à une charge contre l’armée et la science. Mais surtout, Romero inverse les données de ses films précédents : le futur de l’humanité est désormais dans le camp des zombies, et l’animalité dans celui des derniers vivants. Un postulat passionnant qui fait du Jour des morts-vivants, avec La Mouche de Cronenberg, un des grands films d’horreur des années 80, décennie où le genre commençait à être rongé par la parodie. Projection le dimanche 20 mars à 16h30.
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