Olivier Père

Hommage à Roy Ward Baker

 

Docteur Jekyll et Sister Hyde

Docteur Jekyll et Sister Hyde

J’aime beaucoup le cinéma fantastique britannique, à la fois corseté et déluré, guindé jusque dans l’extravagance. J’aimais donc beaucoup les films de Roy Ward Baker, cinéaste anglais qui a touché à tous les genres, mais avait acquis une solide réputation chez les cinéphiles grâce à ses séries B d’horreur et de science-fiction. Ce sympathique artisan est mort à Londres le 5 octobre dernier à l’âge de 93 ans.

Après des débuts assez anonymes en Angleterre, Baker fait un crochet à Hollywood où il réalise quelques films dont le plus connu est Don’t Bother to Knock (Troublez-moi ce soir) avec Marilyn Monroe et Richard Widmark en 1952. De retour en Grande-Bretagne, il signe en 1958 ce qui demeure son film le plus ambitieux et le plus important. A Night to Remember (Atlantique, latitude 41°) estune excellente évocation du naufrage du Titanic, beau fleuron du cinéma de qualité anglais, qui compte un certain James Cameron parmi ses admirateurs.

Le titre suivant de Baker est la première anomalie de sa filmographie, qui en comportera d’autres par la suite. The Singer Not the Song (Le Cavalier noir) est un western européen tourné dans les studios de Pinewood et en Espagne, dans lequel un prêtre catholique (John Mills) s’oppose à la tyrannie d’un bandit local ambigu et tout de noir vêtu (Dirk Bogarde), sous le regard énamouré de Mylène Demongeot, dans un Mexique d’opérette. La thématique homosexuelle du film lui vaudra sa réputation de curiosité « camp ».

Après un premier passage à la télévision (Baker tournera plusieurs épisodes des séries Chapeau melon et bottes de cuir, Le Saint, Amicalement vôtre, et y terminera sa carrière), 1967 marque un tournant dans la filmographie en dent-de-scie du cinéaste. Baker met en scène un film de science-fiction pour la société Hammer spécialisée dans l’horreur et le fantastique. Le cinéaste a trouvé sa voie, et son talent de petit-maître excentrique va s’épanouir au sein de la compagnie. « Étrange, déroutant, fascinant et inclassable chef-d’œuvre que Quatermass and the Pit » (Jean-Pierre Bouyxou, La Science-fiction au cinéma, éditions 10/18). Les Monstres de l’espace (titre français) fut à l’époque de sa sortie plébiscité par la critique qui le classa parmi les dix meilleurs films de science-fiction de l’histoire du cinéma. Inventé par Nigel Kneale pour la BBC, le professeur Bernard Quatermass, à l’affût des phénomènes inexpliqués et des manifestations extraterrestres, est un ancêtre direct des agents de X-Files. Trois de ses enquêtes furent adaptées pour le grand écran : The Quatermass Experiment (Le Monstre, 1955) Quatermass 2 (Terre contre satellite, 1957), tous deux réalisés par Val Guest, puis Quatermass and the Pit. La principale qualité du film de Baker est de traiter avec un inébranlable sérieux pseudo scientifique le délirant postulat d’une colonie martienne infiltrée en plein cœur de Londres, dans les souterrains de son métro.

Terence Fisher réalise en 1958 pour la firme Hammer Le Cauchemar de Dracula, qui devient le premier film de vampire en couleur et une date dans le cinéma fantastique britannique. Cette réussite bouleversera la carrière de Christopher Lee, impressionnant Dracula, qui reprendra le rôle dans une dizaine de déclinaisons sadiques, érotiques et parodiques mises en scène par Fisher, Freddie Francis, Jess Franco, Alan Gibson, Peter Sasby ou Édouard Molinaro. Les Cicatrices de Dracula (1970) de Roy Ward Baker appartient à la dernière période de la Hammer et entérine une dégradation esthétique et sémantique du mythe, multipliant les épisodes sanglants et grivois, dans un climat malsain caractérisé ici par des tendances sadiques et homosexuelles plutôt hétérodoxes. La même année, Baker réalise le mythique Vampire Lovers, librement adapté du classique Carmilla de Sheridan Le Fanu, qui contribue à expliciter définitivement la sexualité sous-jacente dans le cinéma vampirique. Aux côtés de Peter Cushing, la performance de la starlette Ingrid Pitt, généreusement dénudée et offerte à des scènes d’amours saphiques très provocantes pour l’époque, bouleversa toute une génération de cinéphiles érotomanes.

Docteur Jekyll et Sister Hyde (1971), le meilleur film fantastique de Roy Ward Baker, est une adaptation iconoclaste de la nouvelle de Stevenson. Cette fois-ci le célèbre docteur, à la recherche de l’élixir de vie, commet une série de meurtres comme Jack l’éventreur et croise sur son chemin les pilleurs de tombes Burke et Hare. L’hybridité est à son comble puisque le savant fou ne se transforme plus en monstre mais en superbe jeune femme. Le film devient alors une étonnante variation « transgenre » sur le désir d’être un(e) autre. La nouvelle identité sexuelle du docteur lui permet de jouir d’un corps tout neuf et de tester son pouvoir de séduction auprès des hommes. L’acteur Ralph Bates souhaitait se travestir pour jouer Sister Hyde, mais les producteurs eurent la bonne idée de freiner ses élans transformistes en confiant le rôle à Martine Beswick, ex-miss Jamaïque. Sa beauté atypique, à la fois androgyne et incroyablement sensuelle, achève de rendre le film inoubliable. C’est le dernier chef-d’œuvre produit par la Hammer. Baker fait des infidélités à la célèbre firme et travaille pour son concurrent Amicus, spécialisé dans le film à sketches horrifique. Il y signe deux petite réussites, Asylum et The Vault of horror qui réunissent de nombreux acteurs familiers du genre, suivies de … And Now the Screaming Starts!, une sombre histoire de malédiction. Le dernier titre célèbre – un peu pour des mauvaises raisons –  de Baker pour le cinéma date de 1974. Les Sept Vampires d’or est le symptôme d’une décadence réjouissante du genre fantastique par l’adjonction syncrétique d’éléments exogènes. En ces temps-là, monstres classiques et pistoleros du western européen étaient supplantés dans les salles de quartier par les combattants des films d’art martiaux asiatiques. La Hammer eut l’idée de faire se rencontrer vampires classiques et sautillantes créatures mortes- vivantes de la mythologie chinoise, le tout mixé avec des combats de kung-fu. Le film est une coproduction entre la Hammer et les studios hong-kongais des Shaw Brothers, la compagnie spécialisée dans les productions de films de sabre et d’arts martiaux. Mais la greffe ne prend pas vraiment et Les Sept Vampires d’or séduit surtout pour sa monstruosité ontologique. Qu’importe. Plus doué que les autres successeurs de Terence Fisher (Freddie Francis, Peter Sasdy et Alan Gibson), Roy Ward Baker aura réalisé plusieurs pépites du cinéma pop anglais et Docteur Jekyll et Sister Hyde est un petit classique à réévaluer d’urgence. Nombre de ses films avaient été programmés à la Cinémathèque française dans le cadre des soirées « cinéma bis ». C’est là, avant leur fringante réapparition en DVD, que de nombreux nostalgiques et jeunes cinéphiles les avaient revus ou découverts sur grand écran.

The Vampire Lovers

The Vampire Lovers

 

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Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    J’ai regardé hier Le Cavalier Noir. Vous le citez dans votre article, mais j’ignore si vous l’avez vu.

    C’est un film bizarre, lent, où il est question de métaphysique, de Dieu, de damnation, de salut, de la façon dont la morale est guidée par la religion ou guide elle-même les préceptes religieux. Du chanteur (l’homme) et de la chanson (a religion), de l’œuf et de la poule. Tout ceci étant animé par des acteurs improbable:
    Dirk Bogarde en pantalon de cuir noir ultra fit, Mylène Demongeot en Mexicaine qui parle anglais avec un accent français et John Mills en prêtre quinquagénaire, séducteur malgré lui (et en dépit de toute vraisemblance).

    On parle dans les bonus de rapports homosexuels. Il faut avoir l’esprit tordu. Bogarde est un asexuel, ou plutôt un type qui ne s’intéresse ni aux hommes, ni aux femmes, sa seule obsession: les limites du bien et du mal. Il cherche des repères moraux qui valideraient ou non sa conduite. c’est un homme qui s’empare de la place qu’on lui cède. Faudra-t-il considérer le cuir noir comme un attirail nécessairement fétichiste gay?? L’homosexualité supposée, si elle était un thème, serait hyper accessoire, à la marge de la seule vraie préoccupation du film, et d’ailleurs, elle serait aussi fort pauvrement exploitée.

    On dit aussi dans les même bonus que la version française explicite davantage cette dimension homo. Une blague à nouveau si le seul indice de ces élucubrations est l’extrait donné en exemple: la version française est la traduction parfaite, presque littérale de l’anglais. Sur base de ce seul passage, je disqualifie cette interprétation, mais j’avoue ne pas avoir eu le courage de revoir le film en français, et peut-être y traine-t-il une allusion ou deux qui alors trahiraient la version anglaise.

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