Olivier Père

Real : entretien avec Kiyoshi Kurosawa

Demain 26 mars sort en France le nouveau film de Kiyoshi Kurosawa Real (Riaru: Kanzen naru kubinagaryû no hi), découvert en première internationale au Festival de Locarno et distribué par Version Originale / Condor. Atsumi, talentueuse dessinatrice de mangas, se retrouve plongée dans le coma après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Son compagnon Koichi ne comprend pas cet acte insensé, d’autant qu’ils s’aimaient passionnément. Afin de la ramener dans le réel, il rejoint un programme novateur permettant de pénétrer dans l’inconscient de sa bien-aimée. Après Tokyo Sonata et Shokuzai c’est une autre réussite exceptionnelle d’un cinéaste au sommet de son art, peintre d’une ultramoderne solitude et d’un devenir fantôme qui évolue dans l’univers de la science-fiction et ses mythologies – ici le voyage mental – pour mieux s’intéresser aux sentiments humains, aux mystères de l’amour et de la création. Pur film de mise en scène, Real est si passionnant qu’il mérite plusieurs visions, son sujet et sa forme même sont des invitations pressantes à le voir plusieurs fois. En attendant de découvrir les prochains films de Kiyoshi Kurosawa qui semble avoir retrouver sa cadence de stakhanoviste : deux films en préparation pour cette année, dont un tourné entièrement en France et coproduit par ARTE France Cinéma (La Femme de la plaque argentique.) Sans trop dévoiler des surprises et beautés de Real, voici la retranscription d’un entretien débat réalisé lors d’une avant-première du film le 11 mars au cinéma La Pagode.

Real

Real

Real est votre premier film réalisé pour le cinéma depuis Tokyo Sonata, Shokuzai exploité en salles en France ayant été réalisé pour le petit écran. Pourquoi cette éclipse de cinq ans inhabituelle pour un cinéaste aussi prolifique que vous ?

Après avoir terminé Tokyo Sonata je me suis rendu compte que j’avais tourné tous mes films à Tokyo ou dans les environs de Tokyo. J’avais le sentiment d’avoir fait le tour de cette ville, que pouvais-je dire de plus sur le Tokyo d’aujourd’hui ? J’avais envie de passer à autre chose, de m’intéresser à des histoires anciennes ou à des histoires étrangères. J’ai donc écrit plusieurs scénarios dans ce sens mais aucun n’a abouti (Kiyoshi Kurosawa a dû renoncer à cette époque à deux productions internationales à gros budgets, un film de guerre tourné en Mandchourie et un film historique, « 1905 » avec Tony Leung, abandonnées à cause des tensions diplomatiques entre le Japon et la Chine, ndr.) C’est à ce moment là qu’a surgi du néant le projet de Shokuzai, qui n’était pas du cinéma mais une série télévisée, adaptée d’un roman. Cela correspondait absolument à mon désir de faire autre chose. J’ai accepté, un peu désespéré à l’idée de ne plus pouvoir faire de cinéma, et j’ai relevé le défi. Cette expérience s’est révélée être une grande chance, une grande opportunité, et aussi quelque chose qui m’a beaucoup plu, notamment le travail d’adaptation d’une œuvre littéraire préexistante. Juste après Shokuzai un producteur de cinéma est venu m’apporter le projet de Real. Je me suis dit « encore un film sur Tokyo ! » mais ce n’était pas le Tokyo que j’avais l’habitude de filmer, mais un Tokyo fantasmé, entre le réel et l’imaginaire. Et puis il s’agissait une nouvelle fois d’un roman à adapter (« Un jour parfait pour le plésiosaure » de Rokurô Inui), j’ai eu envie de m’embarquer dans cette aventure, pour mon retour au cinéma.

Comment vous êtes-vous approprié ce roman, puisque l’on retrouve votre univers et vos thèmes de prédilection dans Real ?

J’ai lu le roman et ce qui m’a attiré c’était l’idée de pouvoir pénétrer dans la conscience d’un autre, pour se souvenir de choses que nous avions oubliées, enfouies en nous. Cette démarche était passionnante, fantastique. Mais dans un roman on peut se permettre une plus grande complexité des situations, une plus grande ambiguïté. La fin du roman était plus ouverte. Autant de choses qui ne sont pas possibles au cinéma. Je me suis inspiré du roman en en conservant à peu près la moitié, mais j’ai beaucoup simplifié l’histoire de Real.

Real

Real

Au-delà de l’histoire du film on retrouve dans Real le thème de la circulation entre le monde des morts et des vivants, la confusion entre différents états de conscience. Les morts ou les fantômes de vos films sont parfois plus réels que les vivants, réduits à l’état de zombies, aliénés par leur condition psychique et sociale.

Ces retournements de situation étaient déjà dans le roman originel. L’ambigüité que vous signalez est très significative du cinéma. Au cinéma on filme le réel et l’irréel. On filme des situations ordinaires, même dans une histoire fantastique. J’essaye de capter dans mes films ce passage du très réel à l’irréel. Le cinéma est le mode d’expression qui permet le mieux d’enregistrer ces fluctuations.

Tous vos films parlent du cinéma, des différents statuts des images.

Je ne veux pas seulement parler des médias, je veux aussi les montrer. Dans le roman original, le fameux plésiosaure ou d’autres éléments fantastiques étaient à peine suggérés, moi j’ai voulu les montrer. Le cinéma permet cette incarnation, cette présence forte des choses. Mon producteur pensait que cela pouvait être dangereux – et cher – de montrer autant le dinosaure dans le film, mais c’était l’une de mes motivations principales dans le projet.

Pouvez-vous nous parler de votre rapport aux effets spéciaux numériques ?

Ma directrice de la photographie Akiko Ashizawa est l’une des très rares femmes à exercer ce métier au Japon, nous avons fait plusieurs films ensemble. C’est l’une de mes plus anciennes et régulières collaboratrices. Real est mon premier film entièrement tourné en numérique, sans intervention du 35mm. D’habitude nous tournions en pellicule mais c’est devenu quasiment impossible maintenant au Japon. Nous avons donc essayé de faire des images pensées spécifiquement pour le numérique, que nous n’aurions pas pu faire en 35mm. Il y a toujours eu des effets spéciaux dans mes films même s’ils n’étaient pas visibles, je souhaite utiliser toutes les possibilités offertes par les nouveaux outils technologiques du cinéma. Pour Real j’avais dit à mon directeur artistique que voulais mettre le paquet et profiter au maximum du traitement numérique des images.

Real témoigne d’une recherche architecturale très rigoureuse à propos des décors urbains, des espaces intérieurs ou extérieurs…

En ce qui concerne les décors rien ne dépasse les surprises offertes par la réalité. Par exemple les ruines d’un site touristique sur l’île dans Real. Je n’aurai jamais pensé que cet endroit existe en vrai, nous aurions pu le recréer avec des effets spéciaux. Mais nous avons découvert et utilisé une usine détruite par le récent tremblement de terre au Nord de Tokyo. C’était au-delà de ce que j’aurai plu imaginer de mieux pour tourner ces séquences.

Pour exprimer la confusion entre le rêve et la réalité votre mise en scène procède à de subtils déplacements en exhibant certains artifices cinématographiques au lieu de les masquer.

Il y a des trucs de mise en scène très anciens, comme des rétroprojection en studio pour les scènes de voiture. Cela procure un effet bizarre aux spectateurs puisque l’on n’utilise plus beaucoup ces techniques de prises de vues truquées des années 40 ou 50. C’est un clin d’œil au cinéma pour créer des effets irréalistes. Je tenais beaucoup à ces scènes. C’est l’irréalité du cinéma qui nous emporte dans la réalité de l’histoire. Real est mon film avec le plus d’effets spéciaux sophistiqués, mais aussi le plus archaïque d’une certaine manière.

(Attention « spoiler ») Il y a aussi l’artifice du jeu de l’acteur. Dans la première partie il est dans le coma et c’est dans un inconscient comateux qu’il s’imagine en train de jouer dans ces scènes. Au lieu de regarder ses interlocuteurs dans les yeux, il voit plus loin ou à côté. Ce n’est pas un jeu réaliste, mais le spectateur découvre plus tard dans le film les raisons de ce décalage.

Vous êtes un grand réalisateur de films fantastiques mais vous êtes aussi un grand cinéphile amoureux de ce genre. Avez-vous pensé à des œuvres préexistantes sur des thèmes comparables en préparant Real ?

Je ne me suis pas inspiré d’un titre en particulier mais il est vrai que les films fantastiques et de science-fiction nourrissent mon travail. J’ai vu tous les films hollywoodiens sortis récemment qui parlent de sujets proches de celui de Real comme Inception ou Shutter Island, mais ils ne m’ont pas influencés. Au-delà de ces productions récentes l’histoire du cinéma classique est remplie de films qui parlent de voyages dans l’esprit avec des retournements de situations spectaculaires, le plus représentatif étant sans doute Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene. Il y avait d’ailleurs beaucoup d’histoires de ce genre au tout début du cinéma. Je le sais, mais cela ne m’a pas empêché d’avoir eu envie moi aussi de réaliser un film autour de ces thèmes.

Kiyoshi Kurosawa

Kiyoshi Kurosawa

 

Remerciements à Kiyoshi Kurosawa, Eric Le Bot (Version Originale / Condor) et Catherine Cadou pour la traduction.

 

 

 

 

 

 

 

 

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