Olivier Père

La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer

Jonathan Glazer (quatre longs métrages en vingt-quatre ans) s’est imposé comme le Stanley Kubrick du XXIème siècle. Cette assertion se confirme avec La Zone d’intérêt (The Zone of Interest, 2023) dans lequel Glazer se confronte à la question de la représentation (ou plutôt de l’impossibilité de la représentation) de la Shoah au cinéma. Il en résulte une oeuvre impressionnante, géniale par les moyens cinématographiques qu’elle invente pour traiter son sujet, forcément dérangeante et donc capable de déchaîner les passions et entraîner des jugements excessifs autant dans la louange que l’attaque – comme Kubrick, toujours. La Zone d’intérêt nous semble être l’un des films les plus importants de ces dernières années. Une œuvre admirée et primée (au Festival de Cannes, aux Oscars), dont l’importance a été immédiatement reconnue y compris par un large public, mais aussi commentée et contestée. Dans Under the Skin, Glazer imaginait un point de vue extraterrestre, donc sans affect, sur l’humanité. Contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre parfois, La Zone d’intérêt n’adopte pas le point de vue des nazis pour parler d’Auschwitz, mais procède à un travail d’observation scientifique (donc extérieur) des comportements et de la psychologie de Rudolf Höss, commandant du camp d’extermination d’Auschwitz, des membres de sa famille et en particulier de son épouse, qui a trouvé dans le nazisme un ascenseur social. C’est le contraire d’un système immersif, qui abolit le point de vue critique. La caméra devient un microscope qui établit une distance pour analyser ce qui se passe dans cette « zone d’intérêt », soit la villa et le jardin des Höss. La Zone d’intérêt est moins un film sur la banalité du mal que sur la passivité humaine, l’apathie morale qui a saisi la plupart des participants ou les collaborateurs de la barbarie nazie. Glazer confirme que Auschwitz n’est pas représentable, et procède à un impressionnant travail sur l’hors-champ et le son pour évoquer la proximité de l’horreur absolue qui se déroule à quelques mètres de la maison de Höss, derrière un mur, et que ses habitants ont décidé d’ignorer. Une œuvre de création et de réflexion qui n’a pas beaucoup d’équivalence dans l’histoire du cinéma.

 

Le film est disponible en Blu-ray chez Blaq out, dans une très belle édition.

Catégories : Actualités

11 commentaires

  1. Ballantrae dit :

    Effectivement, un grand film et la troisième confirmation que nous avons affaire à un grand cinéaste.
    Je mets à part Sexy beast bon polar peut-être en deçà des trois suivants. Un peu son Ultime razzia si on file la comparaison kubrickienne.
    Dès Birth il était possible de mesurer le vertige du cinéma de Glazer qui sait inventer un rapport au monde dans chaque film. Trois films très différents qui s’essaient à imaginer un point de vue inédit : celui d’un impossible deuil, d’une extraterrestre qui découvre l’humanité, d’un bourreau ordinaire.
    La force commune à Under the skin et Zone of interest est la transformation d’un dispositif pur en matière de mise en scène. La frontière entre art contemporain et cinéma est purement et simplement abrégée car nous sommes privés du recul propre aux découvertes d’installations , happés par l’intégration dans le processus même de la narration du  » dispositif  » technique qui ailleurs ferait écran mais ici exacerbe nos capacités de nous immerger dans la matière même du récit. Une fusion idéale entre dialectique et croyance.
    Dès leur entame, Under the skin et Zone of interest plongent le spectateur dans l’indicible. Jeux d’échelle vertigineux pour le premier, plongée vers un au delà de l’humain qui se révèle hélas pleinement humain pour ke second.
    Vivement le film suivant! Mais j’ai hélas l’intuition que J Glazer va prendre son temps. Ce serait pourtant bien qu’on puisse voir au moins quelques autres films signés JG.

  2. Bertrand Marchal dit :

    Sexy Beast est un polar très original, dans la forme, le ton général, des idées de mises en scène décalées et puis dès ce premier film, il s’affirme comme un directeur d’acteurs très précis.

    • Olivier Père dit :

      Mineur en apparence, le film entretient néanmoins des points communs avec les films ultérieurs de Glazer : à commencer par l’importance de l’habitat – une grande partie de l’action se déroule autour d’une piscine, dans mon souvenir.

  3. VG dit :

    Plus que la vision à travers un microscope, la mise en scène m’a fait penser à un dispositif de surveillance . Je crois que JG a voulu éviter toute forme de sentimentalisme, au risque de l’abstraction.

    • Olivier Père dit :

      En effet, Glazer a disposé des caméras Sony Venice à plusieurs endroits de la maison qui tournaient en continu, à la manière d’un système de surveillance vidéo. L’équipe de tournage n’intervenait que très rarement entre les plans afin que les acteurs puissent improviser et expérimenter sur de longues séquences. cela rappelle un peu ce que Lars Von Trier avait expérimenté dans son film Le Direktor.

  4. VG dit :

    Oui, comme si les caméras traquaient tous leurs déplacements, dans les couloirs, escaliers et passages de seuils….ça donne un résultat étrange.

  5. Ballantrae dit :

    Sexy beast est un vrai bon polar qui destructure habilement son récit. De bonnes idées, un ton étrange et décalé dans mon souvenir.
    Mais Birth a signifié tout de même un saut créatif assez impressionnant. Mal aimé à sa sortie, il doit être absolument réhabilité.

  6. Bertrand Marchal dit :

    Il y a aussi du David Lynch dans Sexy Beast, le lapin par exemple, le rocher dans la piscine; mais aussi certaines tensions infernales entre les personnages, des truands qui ont l’air vraiment dangereux, bien plus que dans n’importe quel Scorsese… Et puis l’élément aquatique, comme dans tous ses films.

    Sinon, j’ai appris que Furiosa était un échec apocalyptique, et que sans doute, c’était la fin de la saga…

  7. Ballantrae dit :

    Je me rappelle effectivement des écarts surréalistes. Mais le lapin??? Franchement j’ai oublié n’ayant vu le film qu’une fois il y a qqs temps.
    Le côté puzzle du récit était très intéressant tout comme la caractérisation des personnages notamment B Kingsley totalement méconnaissable en gangster sans limites.

    Quant à Furiosa, oui , hélas, le public l’a boudé cruellement malgré ses immenses qualités. Au même moment, son envie allait plutôt vers Un p’tit truc en plus.
    Il y a de quoi pleurer!

  8. Snoopy18 dit :

    BIRTH aiguise la curiosité dès le départ. Ce plan séquence ( je crois avoir noté qu’il s’agissait d’un plan séquence) à la grue qui suit le footing d’ Anna est certainement l’une plus belles ouvertures de ces dernières années.
    Atmosphère glaciale, nocturne, Anna semble sortir du monde des morts qu’elle arpente sans fin. Un prélude aux frontières du fantastique qui contient un peu du génome de J. Tourneur.

  9. Bertrand Marchal dit :

    si, si, il y a un homme-lapin dans Sexy Beast! Une raison de plus de le revoir. 😉

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