Olivier Père

Frankenstein chez Universal

Elephant fait plaisir à tous les vrais amateurs de fantastique en exhumant les films de la Universal dédiés à la créature de Frankenstein – les autres films sur les monstres du patrimoine – loup-garou, Dracula, étrange créature du lac noir – sont attendus dans les prochains mois, dans une nouvelle collection intitulée « monster club ».

Nous ne parlons pas ici des deux classiques de James Whale Frankenstein (1931) et La Fiancée de Frankenstein (1935) mais de leurs prolongations, réalisées après le départ du producteur Carl Laemme, signées par d’autres cinéastes, mais réutilisant les personnages et les décors des chefs-d’œuvre originels, avec une licence poétique et parfois une folie qui font davantage que raviver la flamme d’un mythe littéraire puis cinématographique : inventer un fantastique hybride et feuilletonesque. Cette forme épisodique – certains films sont les suites directes des précédents – est perturbée par le choix étrange de confier des rôles différents aux mêmes acteurs, vedettes polyvalentes du genre (Bela Lugosi incarne bien sûr Dracula mais aussi Ygor et la créature de Frankenstein, Boris Karloff devient lui-même un savant fou après avoir longtemps interprété le monstre, etc.)

Le Fils de Frankenstein

Boris Karloff, Basil Rathbone et Bela Lugosi dans Le Fils de Frankenstein

Le Fils de Frankenstein (1939) de Rowland V. Lee est la seule suite qui réemploie Boris Karloff dans le rôle du monstre. Le film est justement célèbre pour ses décors influencés par le caligarisme, avec l’intérieur du château tout en angles pointus et lignes géométriques. Le Fils de Frankenstein servira de modèle à la parodie Frankenstein Junior où Gene Wilder joue le descendant direct de Frankenstein poursuivant le projet prométhéen de son aïeul. On peut même parler de décalque puisque Mel Brooks reprendra tels quels situations et personnages, notamment le policier manchot interprété par Lionel Atwill, dont le bras fut arraché enfant par le monstre et qui fait un usage drolatique de sa prothèse.

Lon Chaney Jr. et Bela Lugosi dans Le Spectre de Frankenstein

Lon Chaney Jr. et Bela Lugosi dans Le Spectre de Frankenstein

Le Spectre de Frankenstein (1942) de Erle C. Kenton reprend le personnage du serviteur bossu Ygor (Bela Lugosi) laissé pour mort dans le précédent film, et qui utilise la créature de Frankenstein (Lon Chaney Jr.) pour assouvir sa vengeance. Le scénario gravite aussi autour de l’idée de transfert de cerveaux pour créer un monstre alliant force et intelligence diabolique. Issu de l’imagination fertile de Curt Siodmak La Maison de Frankenstein (1944, photo en tête de texte) toujours réalisé par Kenton est sans doute le film le plus fou du lot, qui envisage la rencontre d’une brochette de monstres Universal à l’occasion d’une aventure particulièrement sadique et délirante. L’épisode avec Dracula (John Carradine) réveillé de son sommeil par un savant fou émule du docteur Frankenstein échappé d’un asile dans lequel il croupissait pour avoir tenter de greffer un cerveau d’homme sur un chien (!) constitue un véritable court métrage autonome à l’intérieur du film. La mort du vampire réduit en cendres au lever du soleil sur une colline après une course poursuite produit une scène magnifique et La Maison de Frankenstein est le prototype de ces petites séries B à la poésie surréaliste qui déclenchent l’extase des cinéphiles amoureux du fantastique. Ancien gagman de Mack Sennett, auteur d’une superbe adaptation de H.G. Wells (L’Ile du docteur Moreau avec Charles Laughton en 1932, chef-d’oeuvre de l’épouvante) Erle C. Kenton était un prolifique artisan hollywoodien mais il donne le meilleur de lui-même avec cette Maison de Frankenstein qui sera suivie d’un House of Dracula tout aussi recommandable et bientôt disponible chez Elephant. Les choses se gâtent avec Frankenstein rencontre le loup-garou (1943) de Roy William Neill et écrit par Curt Siodmak, le duel entre les deux monstres ne provoquant pas beaucoup d’étincelles, même si on peut louer la direction artistique – une constante dans tous ces films à petit budget qui bénéficient néanmoins de beaux décors et d’une photographie souvent sophistiquée que l’on peut enfin admirer dans de bonnes conditions grâce à ces nouveaux transferts en haute définition.

Boris Karloff et John Carradine dans La Maison de Frankenstein

Boris Karloff et John Carradine dans La Maison de Frankenstein

Deux nigauds contre Frankenstein (1948) de Charles T. Barton voit enfin le mythe à l’épreuve de la parodie et de l’humour de cour de récréation du duo formé par Bud Abbott et Don Costello, comiques assez navrants qui ne parviennent pas totalement à ridiculiser le reste de la distribution – Lon Chaney Jr. et Bela Lugosi conservent un sérieux imperturbable malgré des péripéties de plus en plus rocambolesques. Le principe du « crossover » initié par la Universal avec cette série de films connaîtra une longue postérité d’abord avec les séries B et Z tournées aux Etats-Unis, au Mexique, en Italie ou en Espagne – nombreuses bandes iconoclastes signées Al Adamson ou Jess Franco par exemple qui oseront des rencontres incongrues entre Dracula, Frankenstein, le loup-garou et les autres, puis aujourd’hui avec les déclinaisons infinies des franchises de monstres ou de super héros exploitées par les studios hollywoodiens dans des blockbusters disproportionnés.

La plupart de ces films furent tournés entre 1939 et 1944 et se déroulent sur le vieux continent, que ce soit en Angleterre, en Autriche-Hongrie ou en Transylvanie, berceaux du loup-garou, du baron Frankenstein ou des vampires. Difficile de ne pas voir dans ces histoires de savants fous, de surhommes grotesques et de créatures des ténèbres l’ombre d’un mal bien réel mais tout aussi absolu qui s’étendait sur l’Europe au même moment, et il sourd de ces bandes fantaisistes une angoisse et une folie meurtrière qui appartiennent à l’Histoire.

Catégories : Actualités

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Vu la Maison de Frankenstein.

    Le film est un patchwork improbable qui tente de rassembler dans le décorum habituel les trois grandes figures fantastiques popularisées par Universal: sont de la partie gitans, savant fou, forêt embrumée, amours tragiques, foule bornée, etc.

    Au milieu de ces abracadabrantes péripéties, je relève un décor totalement wtf: une cave gelée, une vraie grotte arctique au milieu des confins de l’Europe orientale! Il fallait l’oser, mais à priori, c’était la seule façon de justifier la présence intacte du monstre de F. et du Loup-garou! Et ça marche, tant on est séduit par la bouffonnerie de l’idée.

    Une autre scène très étonnante est la disparition en un plan séquence du bossu qui est soudain englouti par un effondrement du sol, pour réapparaitre un étage plus bas, au milieu des gravas! Hallucinante cascade qui nous offre un plan très original!

    Voilà ce qui fait l’intérêt de ces petites productions: il y a toujours un ou deux moments brillants, et même totalement singuliers, qui rehaussent l’ensemble et témoignent du sérieux professionnel des équipes chargées de la mise en scène. Quant aux scénaristes, il faut leur pardonner: arrivés au bout du filon, ils font ce qu’ils peuvent!

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