Olivier Père

La Fièvre dans le sang de Elia Kazan

ARTE diffuse La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, 1961) de Elia Kazan dimanche 4 octobre à 20h45 dans le cadre d’une soirée consacrée à Warren Beatty – le film sera suivi à 22h44 de Warren Beatty, l’obsession hollywoodienne, documentaire inédit de Olivier Nicklaus (également disponible en Replay sur ARTE+7.)

Le chef-d’œuvre de Kazan marque les débuts extraordinaires de Beatty à l’écran, dont c’est le tout premier rôle en vedette aux côtés de Natalie Wood, jeune actrice bien plus expérimentée que lui qui avait déjà travaillé dès l’enfance avec de très grands réalisateurs américains.

Lors d’un discours écrit en 1980 Kazan affirmera : « l’acteur le plus intelligent après Marlon Brando avec qui j’ai travaillé – et cela peut surprendre – est Warren Beatty. C’est plus une personnalité qu’un acteur, et il n’a pas le stupéfiant talent qu’avait Brando de se transformer. Il vient en fait d’une tradition plus ancienne : il est lui-même, au premier degré, et il ne surprend jamais. Mais c’est un homme courageux, ou plutôt intrépide. Je l’admire beaucoup pour avoir réalisé Reds. »

Le couple formé par Natalie Wood et Warren Beatty est d’une beauté sidérante, et Kazan démontre une nouvelle fois ses qualités exceptionnelles de directeurs d’acteurs. Réalisé au début des années 60 La Fièvre dans le sang aborde avec beaucoup de tact mais sans aucune fausse pudeur, et avec un réel courage le thème de la sexualité, dans le contexte d’une Amérique puritaine bientôt frappée de plein fouet part le krach boursier. Kazan, disciple de John Ford, fut l’un des réalisateurs américains qui parla le mieux de son pays, son histoire et sa culture dans ses films, avec une intelligence, une sensibilité et un regard critique qui étaient aussi celles d’un fils d’immigré, né à Constantinople dans l’ancien empire Ottoman.

Warren Beatty et Natalie Wood dans La Fièvre dans le sang

Warren Beatty et Natalie Wood dans La Fièvre dans le sang

La première scène du film montre un jeune couple d’amoureux qui s’embrasse dans une voiture devant une cascade. Mélange enivrant de désir, de peur et d’excitation. Dotée d’une formidable tension, pleine de poésie et d’érotisme, cette scène pose d’emblée les enjeux du film : la répression de la sexualité, l’impossibilité de s’aimer librement, l’importance de la virginité, de la pureté dans la société américaine en contradiction avec l’éveil sensuel de jeunes adolescents.

Le garçon, Bud Stamper (Warren Beatty), vient d’une famille enrichie par le pétrole. Les parents de Deanie Loomis (Natalie Wood), au contraire, sont pauvres. Dans les deux cas, l’obsession des parents pour l’argent et la réussite sociale s’oppose aux préoccupations sexuelles et sentimentales de leurs enfants et surtout leur idéalisme juvénile, bientôt brisé par les préjugés, les ambitions frustrées et les névroses de leurs géniteurs.

Sublime mélodrame, La Fièvre dans le sang s’écarte pourtant de toutes les conventions du genre, méprise les clichés pour offrir une vision politique et psychanalytique en tous points pertinente de son sujet. Le scénario – remarquable – de William Inge sera récompensé par un Oscar. C’est un film tourné loin de Hollywood, et contre Hollywood dans son refus du spectaculaire et sa recherche d’une vérité intime des êtres, des corps et d’un pays tout entier. La scène finale de La Fièvre dans le sang, l’une des plus belles de tout le cinéma américain, influencera sans doute Jacques Demy pour la fin des Parapluies de Cherbourg.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    C’est un film très amer qui parle du deuil de soi-même.

    Les jeunes héros de cette fable pathétique sont les victimes d’un système impitoyable qui entend faire d’eux des être sociaux comme les autres, coulés dans le moule: les tortionnaires sont leurs parents et bien au-delà d’eux, le milieu, des attentes collectives, des règles de civilisation imaginées par on ne sait plus qui, mais qui ont force de loi. Une loi impossible à intégrer quand on est jeune et plein du besoin vital d’aimer (en clair: ils veulent ardemment faire l’amour et deviennent fous de ne pas pouvoir).

    Le bonheur ne dépend pas de la volonté mais de faits extérieurs qui lui échappent et auxquels il se doit se soumettre. Pour l’auteur du scénario – qui finira (logiquement?) par se suicider- le bonheur ne peut être qu’une construction contre-nature qui se réalise au gré des circonstances, au gré des obstacles rencontrés qui toujours signalent une défaite qui doit alors être la plus honorable possible: Il s’agit de contenir la débâcle.

    J’ai trouvé ce film étonnamment moderne, dans son constat brutal et sans espoir de la condition de l’individu américain, mais aussi dans les situations osées pour l’époque (la belle scène de la cuite désespérée de la soeur qui fini presque violée, la scène du bain de Natalie Wood), et dans le jeu des acteurs (mentions à Natalie Wood évidemment, dont on est obligé de tomber amoureux et au père de Warren Beatty, extraordinaire de volonté bornée – la scène dans le cabaret est son grand moment).

    La fièvre dans le sang évoque un autre grand film indigné: la Fureur de Vivre ainsi bien sûr que les œuvres de Tennesse Williams. J’ai beaucoup aimé les détails, mais j’ai aussi trouvé l’ensemble un peu trop artificiel, le « message de l’auteur » est un peu trop démonstratif. Tout de même, c’est un film à voir, merci pour la découverte!

    • Olivier Père dit :

      Magnifique Natalie Wood à laquelle le Festival de La Rochelle rend hommage cet été avec quelques-uns de ses meilleurs films et il y a aussi une petite bio qui vient de sortir chez Capricci.

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