Succédant aux « Six Contes moraux », la série des « Comédies et Proverbes » réalisée entre 1981 et 1987 forme un ensemble plus libre, avec des liens plus lâches entre les films, une thématique commune moins rigoureuse, plus sensiblement orienté vers la comédie. Cette fois-ci le principe est simple : chaque film est l’illustration d’un proverbe ou d’une citation empruntés à la littérature classique ou au bon sens populaire. Il s’agit toujours pour Rohmer de tisser une œuvre autour du discours amoureux et de la recherche du bonheur, mais cette fois-ci contrariée ou provoquée par des contingences socioculturelles davantage que mue par des enjeux spirituels et éthiques, comme dans les « Contes moraux ».
Conciliant le goût de Rohmer pour les fictions romanesques et l’enregistrement documentaire du réel, les « Comédies et Proverbes » dessinent un portrait nuancé de la France des années 80, avec les rêves de réussite sentimentale de jeunes hommes et femmes, mais aussi les métamorphoses de la société française et de son paysage urbain, les modes vestimentaires et décoratives. Le cycle commence avec La Femme de l’aviateur (1981). Ce film à la structure étrange et somnambulique est une déclaration d’amour aux rues de Paris, comme Le Signe du Lion ou Nadja à Paris, avec des réminiscences du réalisme poétique de Carné qu’appréciait beaucoup Rohmer.
Le dernier film de la série, L’Ami de mon amie (1987), se déroule dans la ville nouvelle de Cergy. Cette utopie architecturale prolonge la rêverie moderne d’un documentaire précoce de Rohmer, Les Métamorphose du paysage (1964), dans lequel le cinéaste chantait, pour la télévision scolaire, avec un évident plaisir du paradoxe et de la provocation, la beauté du béton et de l’acier et la poésie des zones industrielles préférées aux paysages champêtres.
Entre ces deux films, Le Beau Mariage (1982), Le Rayon vert (1986) et Les Nuits de la pleine lune(1984) suivent l’errance ou le sur-place maniaco-dépressifs de frêles héroïnes.
Ces dernières sont incarnées avec beaucoup de grâce par Béatrice Romand (comparée à Fernandel par Rohmer en raison de son élocution lente, claire et drôle – « elle articule », Marie Rivière ou la diaphane Pascale Ogier, actrice trop tôt disparue qui traverse Les Nuits de la pleine lune avec une grâce exceptionnelle. Ce film manifeste du Paris des années 80, période Palace, French cold wave, Novo visions et Elie et Jacno (qui signent la bande originale) démontre que le classique Rohmer savait aussi capturer les modes et les tendances les plus branchées, comme la constellation Zanzibar à l’époque de La Collectionneuse.
Pauline à la plage (1983), l’un des chefs-d’œuvre de l’auteur, possède les qualités d’un manifeste esthétique. Originellement conçue pour le théâtre dans les années 40, puis portée à l’écran, l’histoire de cette jeune fille témoin et actrice de chassés-croisés amoureux dégage une impression de spontanéité, d’improvisation et de hasard alors que le moindre élément visuel ou narratif est parfaitement agencé par le cinéaste conteur. Il faut aussi souligner l’importance des couleurs dans les films de Rohmer en général, et son travail avec le grand directeur de la photographie Néstor Almendros et l’influence de Matisse sur Pauline à la plage en particulier. C’est aussi dans les « Comédies et Proverbes » que Rohmer révèle des comédiens qui allaient, après leur passage remarqué chez le cinéaste, devenir des vedettes du cinéma français et poursuivre une brillante carrière entre film d’auteur, théâtre et productions commerciales : André Dussollier, Fabrice Luchini, Arielle Dombasle, Pascal Greggory…
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