Pologne : les femmes, le pape et le parti

En octobre 2020, plus de 500 000 Varsoviens descendent dans la rue pour dénoncer l’interdiction d’avorter. Des manifestantes brandissent des portraits de jeunes femmes mortes pour n’avoir pas pu avorter. En vigueur depuis 1993, la législation polonaise, l’une des plus restrictives d’Europe, s'est durcie sous l’impulsion de l’extrême droite alors au pouvoir, proscrivant l’IVG thérapeutique même en cas de malformation grave du fœtus. Fille de dissidents exilés en France dans les années 1980 et solidaire du mouvement, la réalisatrice Ada Grudzinski se replonge dans l’histoire de son pays d’origine. Elle découvre une réalité plus complexe que les héroïques récits de libération familiaux ne l’ont suggéré.  
Après 1945, dans une Pologne sous domination soviétique et anéantie par la Seconde Guerre mondiale, les femmes, que la propagande de l’époque aime à montrer au volant des tracteurs, subissent une double contrainte. Suppléant au manque de main-d’œuvre, elles accèdent à des métiers d’homme mais doivent aussi assumer les tâches domestiques et repeupler la nation. Sans contraception, beaucoup avortent clandestinement, et meurent par dizaines de milliers. 

Espoir de changement 
Dictée par l'URSS, cette politique nataliste s’assouplit à la mort de Staline. Suivant l’exemple soviétique, en 1956, le pays autorise l’avortement sous conditions (viol, danger de mort, difficultés sociales). Il s’agit d’œuvrer pour le bien commun en limitant pauvreté et mortalité et non d’accorder aux Polonaises le droit de disposer de leur corps. Néanmoins, dans une Europe occidentale censément plus libérale, mais proscrivant toujours l’IVG, le pays offre une solution de repli aux femmes, et notamment aux Suédoises. Parallèlement, la religion catholique, valeur refuge d’une population pieuse et rétive à la sujétion soviétique, monte en puissance, galvanisée par la popularité du premier pape polonais Jean-Paul II. En 1989, peu avant la chute du Mur, le parti ouvrier Solidarnosc accède au pouvoir avec le soutien de l’Église. Celle-ci pose ses conditions, et la Pologne, au moment où elle accède à la démocratie, renonce au droit à l’avortement. Tissé d’un brillant montage d’archives et d’interviews, ce documentaire remonte le cours mouvementé de l’histoire polonaise récente, et fait entendre les voix vigoureuses de féministes d'âge divers, alors que la victoire d'une coalition centriste en 2023 a fait naître l’espoir d'un changement.