Les herbes sèches

Professeur de dessin dans un petit collège au fond d’une bourgade d’Anatolie tapissée de neige, Samet, trentenaire, vit en colocation avec son collègue et ami Kenan, célibataire comme lui. Ruminant son ennui et sa frustration, il attend une hypothétique mutation pour Istanbul où, pense-t-il, sa vraie vie pourra enfin commencer… Les jours passent et se ressemblent, mais une série d’événements va lentement faire dérailler ce morne quotidien : une accusation de gestes déplacés portée à l’égard de Kenan et Samet par des jeunes filles du collège – dont la petite Sevim, que ce dernier considérait comme sa protégée –, puis la rencontre avec Nuray, jeune femme pugnace, malmenée par la vie, enseignante dans le bourg voisin, qui va faire naître entre les deux amis une silencieuse rivalité amoureuse… 
 
Idéaux perdus 
Figure de proue du cinéma turc et habitué de la Croisette où, après Il était une fois en Anatolie (grand prix en 2011) et Winter Sleep (Palme d’or en 2014), il a présenté en 2018 Le poirier sauvage, Nuri Bilge Ceylan creuse la veine tchékhovienne de ses précédents opus avec cet éblouissant neuvième long métrage de fiction. Observateur hors pair de la condition et de l’âme humaines, il fait partager, le temps d’un hiver qui n’en finit pas, auquel succédera, sans transition, un été ardent brûlé par le soleil, la déroute de Samet, sondant ses états d’âme, ses idéaux perdus et sa petitesse au fil de microévénements qui en dessinent un portrait aussi minutieux qu'intransigeant. Face à cet antihéros moralement ambigu et foncièrement mal aimable, Nuray (époustouflante Merve Dizdar, couronnée du prix d’interprétation à Cannes), aussi passionnée et entière qu’il est calculateur et veule, offre un cruel contrepoint. C’est aussi un film d’une rare maîtrise formelle, qui magnifie les austères paysages d’Anatolie et leurs habitants à travers le regard de photographe de Samet, plus apte à capter l’éphémère beauté du monde qu’à le comprendre.